Arcade Fire: Au bal masqué
Régine Chassagne et Jeremy Gara reviennent sur l’enregistrement de Reflektor, le nouvel album d’Arcade Fire.
Décidément, le fameux collectif y va à fond dans les cachotteries. Après avoir investi une salle inattendue de Montréal pour y donner une série de concerts intimes… et produit une vidéo mettant en vedette des personnalités de la trempe de Bono par la bande, l’orchestre attendait les médias locaux dans une coquette chambre de l’Hôtel Saint-James. Est-ce que les musiciens du groupe engagé céderaient finalement à l’opulence? La réponse est non, si on en croit la réaction de la chanteuse Régine Chassagne et du batteur Jeremy Gara en apprenant le coût des bonbons vendus dans le chic établissement – «Oh! Ils ont des Skittles!», lance Régine tout en s’installant pour l’entretien, «N’ouvre pas le sac!», s’exclame Jeremy en zieutant le menu des gâteries offertes. « C’est vraiment cher pour un sachet!»
À quelques jours du dévoilement d’une œuvre profitant d’une effervescence considérable, les compères se disent plutôt calmes. Confiants, les membres d’Arcade Fire? Oui, mais non. «Je suis trop occupée pour être nerveuse», fait valoir Chassagne. Gara opine. «J’ai hâte! Je crois que nous ne sommes pas nerveux, parce qu’on a travaillé tellement fort. Si on était nerveux, c’est parce que l’album ne serait pas terminé. Nos disques ne sont pas terminés tant que nous n’en sommes pas fiers.» «Notre « éthique de travail », poursuit Régine en mimant des guillemets, fait en sorte que quand on se lance dans quelque chose, on y met tout ce qu’on a et c’est ce qui importe. Ensuite, advienne que pourra!»
Jongler avec deux mondes
Tel qu’annoncé par l’imagerie du vidéoclip interactif pour la pièce Reflektor et le nouveau logo du groupe renvoyant à l’art vévé haïtien, le quatrième album d’Arcade Fire a été inspiré en partie par la Perle des Antilles. «Ça a donné lieu à des échanges intéressants. Autant dans la façon de communiquer que d’aborder notre jeu», se rappelle Régine en abordant le premier concert du collectif là-bas, devant une foule qui n’était pas nécessairement composée de fans d’Arcade Fire, voire d’amateurs de leur style de prédilection. «On devait trouver un terrain musical commun entre nous et les gens.» Jeremy intervient: «Le vocabulaire musical là-bas est tellement différent. C’était intéressant « d’échanger ». D’émettre et de recevoir. Ça a pas mal été notre point de départ.»
Rappelons qu’Arcade Fire entretient une relation avec Haïti depuis belle lurette, lieu de naissance des parents de Chassagne. En plus d’y avoir joué, Arcade Fire s’implique auprès de KANPE, un organisme caritatif luttant contre le cycle de pauvreté en Haïti. «Au fil des années, on a quand même tissé pas mal de liens là-bas. Il y avait déjà un dialogue», fait valoir la chanteuse. «C’est juste que c’était maintenant le temps de…», puis elle s’arrête, mime un numéro de jonglerie avec ses mains alors qu’elle cherche les mots justes.
- Régine Chassagne: Tu vois ce que je veux dire?
- Voir: Je note: Régine mime un genre d’échange en jonglant.
- R: C’est ça!
- V: On se comprend!
Outre l’influence de la Perle, le duo assure que la direction plus rythmée et éclatée de Reflektor s’est également imposée d’elle-même. «Au cours des dernières années, on « jammait » beaucoup ensemble, même entre les tournées. Ce qui nous a permis de nous améliorer, et aussi d’en arriver à une grosse liste de chansons. C’est en travaillant sur celles-ci que la direction est devenue plus claire. On a constaté que nous étions davantage amenés à travailler sur les chansons plus rythmées ou qui avaient des rythmiques plus intéressantes.»
De bonne humeur!
En entrevue avec la BBC il y a quelques semaines, le chanteur Win Butler saluait tout particulièrement la performance de Gara sur ce disque. Le batteur explique pourquoi: «On a fait une petite session en Louisiane auparavant avec RAM, un groupe de Port-au-Prince. C’était surtout pour explorer les rythmes haïtiens, rythmes auxquels je n’étais pas habitué du tout! Ça a donc inspiré quelques chansons.»
Un processus qui a particulièrement plu à Régine Chassagne. Non seulement contente de retrouver ses partenaires de RAM – ceux-ci se sont produits à quelques reprises en compagnie d’Arcade Fire au cours de la tournée pour l’album The Suburbs –, ces expérimentations allaient aussi lui permettre de combiner plusieurs de ses intérêts. «Les rythmes m’obsèdent et j’aime danser, alors j’étais très contente: j’étais entourée de percussionnistes!, s’exclame-t-elle. Bref, ils nous jouaient des rythmes haïtiens – conga, ibo et tout ça – puis j’ai tenté de faire des rythmes « hybrides »; un mariage des deux, si on veut. Pendant des rythmes de conga, par exemple, je leur demandais d’ajouter du snare», explique-t-elle tout en imitant le rythme recherché. «Quand j’ai entendu ce qui est devenu le beat d’Afterlife, là j’étais de bonne humeur! Mes deux mondes se rencontraient au milieu!» S’ensuit un soupir de soulagement plutôt éloquent.
Au-delà du collant
Au fil des derniers mois, Reflektor a fait couler beaucoup d’encre et usé quelques claviers au gré des révélations surprenantes sur l’œuvre, mais aussi sur le personnel l’entourant. En plus de compter sur la participation de proches et d’habitués du clan comme Owen Pallett, Markus Dravs et Kid Koala, le disque double profite également de la présence de nouveaux venus dans l’entourage d’Arcade Fire: David Bowie et l’ex-LCD Soundsystem James Murphy. Est-ce que l’orchestre profiterait de son statut pour réaliser quelques fantasmes musicaux? Même pas, selon les principaux intéressés.
- Jeremy Gara: C’est pas mal organique!
- Régine Chassagne: Il n’y a pas vraiment de plan. On ne se dit pas: «Ouais, qui on pourrait aller chercher?»
- J: «Ça va faire un beau collant à apposer au disque!»
- R: C’est vraiment la vie. Quand ça adonne, ça adonne et si ça clique, ça clique!
- J: Prends David Bowie, par exemple. Cette collaboration n’aurait pas eu lieu si ça n’avait pas été approprié de l’avoir sur cette pièce-là. Ce n’était pas que pour avoir David Bowie là-dessus.
- R: Et ça a adonné qu’il était à New York au même moment que nous l’étions.
- J: James, par exemple, ça a été plus compliqué!
- R: C’est vrai. Ça fait un moment qu’on se connaît et ça faisait un moment qu’on s’en parlait. «Ah! Faudrait faire quelque chose ensemble!» Et à chaque fois, ça ne fonctionnait pas. Et là, on lui a dit: «Alors, tu es libre maintenant? Viens-t-en!» (NDLR: Régine fait ici référence à la séparation de LCD Soundsystem en 2011.)
- J: On a tous des intérêts particuliers et communs, et James est vraiment quelqu’un qu’on apprécie tous. On respecte beaucoup ce qu’il fait, il s’entend avec tout le monde dans le groupe et on voulait vraiment travailler avec lui. Ça, on a fait en sorte que ça se produise!
- R: Là, là! Mets ça à ton calendrier!
- J: En fait, il n’était même pas libre. On voulait vraiment travailler avec lui!
Une histoire de réputation
Au fil des années, la réputation d’Arcade Fire comme étant un ensemble repoussant les limites de la pop et du rock grand public a été montée en épingle autant par les médias que par les mélomanes. Bien que flatteur, est-ce que ce constat est aussi un souci pour les musiciens? Pas selon Chassagne et Gara, du moins. «Je n’y pense jamais!», tranche le batteur lorsqu’on lui demande si le collectif considère les attentes extérieures lorsqu’il se lance dans la création d’un nouveau disque. Régine hoche de la tête. «Je suis trop occupée! Notre travail est la musique. On se concentre que là-dessus.»
Mieux encore, selon Jeremy, la fameuse «éthique de travail» du groupe a été rapidement assimilée par son entourage professionnel. «Quand on travaille sur un album, le téléphone ne sonne jamais. On ne se parle jamais des attentes du monde. On travaille là-dessus parce qu’on aime ça, pas parce que des gens ont des attentes.» «C’est fini quand c’est fini!», interjette la chanteuse. Son collègue hausse les épaules. «On se concentre sur ce qu’on veut parce que c’est ce qu’on veut. Il n’y a pas de date limite ou d’échéances… on n’a même pas de dates de concert!», lance-t-il, sourire en coin, avant de préciser que la véritable tournée se mettra en branle dès l’année prochaine.
Bien qu’Arcade Fire a longtemps été associé à Montréal et sa fameuse scène musicale dite «indie», le côté international de Reflektor – inspirations haïtiennes, répétitions en Jamaïque ou encore en Louisiane, apparitions d’invités américains et britanniques, etc. – semble l’emporter sur le 514 dans ce qui est colporté à ce jour sur l’œuvre. Est-ce que la troupe, aujourd’hui mondialement connue, désire se détacher de l’île? Loin de là. «L’album a essentiellement été enregistré ici, en fait», assure Chassagne. «Sûrement à 90%, même», glisse Gara avant de muser qu’«on n’insiste pas trop sur ce lien avec Montréal, mais on vit quand même ici et on y travaille toujours. Le lien n’a pas tant d’importance, je crois. Mais le fait demeure qu’on vit et travaille toujours ici».
Puis, la question qui surprend…
Mine de rien, au même moment il y a dix ans, Arcade Fire achevait Funeral, son premier album. Lorsqu’on rappelle ce fait à Régine et Jeremy, ceux-ci s’esclaffent, complètement hébétés.
Régine Chassagne: My God! Tu m’as fait sursauter!
- Voir: Je m’excuse!
- R: Woah!
- Jeremy Gara: Et tu voulais en venir à?
- V: À la veille de cet «anniversaire», quel bilan tirez-vous du groupe à ce jour?
- R: Tu le vois. Je n’y ai pas pensé du tout!
- V: Oui! Je vois ça!
- J: C’était la réponse parfaite, je crois!
Reflektor sera disponible dès le 29 octobre. On peut l’écouter dès maintenant sur YouTube.
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