Il y a 15 ans : Daniel Bélanger – Rêver mieux
Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale.
Au début du troisième millénaire, Rêver mieux a fait entrer la chanson québécoise dans la modernité, en lui infusant une touche de mélodies ambient et de synthés planants. Point d’ancrage inestimable pour la pop d’ici, cet audacieux troisième album de Daniel Bélanger a également connu un énorme succès populaire. Quinze ans après sa sortie, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de l’auteur-compositeur-interprète.
Sur une excellente lancée depuis la sortie de son deuxième album, Daniel Bélanger enchaîne un nombre impressionnant de spectacles entre 1996 et 2001.
Après la longue tournée appuyant Quatre saisons dans le désordre, qui récolte les honneurs dans la catégorie du spectacle de l’année au Gala de l’ADISQ 1997, le Montréalais entame la série solo Seul dans l’espace en 1998, puis se joint à Michel Rivard et Jean-Pierre Ferland pour le spectacle d’ouverture des FrancoFolies en 2000. À l’automne, il amorce une mini-tournée québécoise, en trio avec son ami Marc Déry et le percussionniste français Mino Cinelu.
Entretemps, Bélanger se garde occupé avec deux parutions : l’album triple live Tricycle (1999) et «un recueil de 150 historiettes amusées» Erreur d’impression (2000). Bref, le chanteur est aussi inspiré que prolifique au tournant du millénaire.
C’est dans ce cadre créatif pour le moins foisonnant qu’il développe un intérêt plus prononcé pour la musique électronique. «J’écoutais tout ce qui sortait dans ce genre-là. Je lisais beaucoup de revues spécialisées, et ça m’amenait à ouvrir mes horizons. Je n’écoutais que ça», insiste-t-il.
En 1999, la création du premier album solo de son complice Marc Déry (un surprenant mélange d’électro, de rock, de folk et de trip-hop) l’intrigue. «J’allais souvent sneaker in à son studio à Terrebonne. Je trouvais ça fantastique la manière dont il travaillait avec Alain Quirion. Ça a sûrement influencé Rêver mieux, mais c’est pas quelque chose que j’identifiais à l’époque», admet-il. «Chose certaine, en les voyant faire, je me sentais moins tout seul de ma gang à triper sur l’électro. Y avait rien dans ce genre-là qui jouait dans les radios québécoises à l’époque.»
Expérimentation conceptuelle et déclic en forêt
Désirant créer sans se mettre de balises, Daniel Bélanger amorce l’enregistrement d’un album conceptuel durant la même année. Fan de musique québécoise, il échantillonne des chansons d’artistes qu’il apprécie, autant Fernand Gignac que Ville Émard Blues Band, puis les déconstruit en les plaçant sur des rythmes hip-hop expérimentaux. «Je venais tout juste de découvrir DJ Shadow, et on peut dire que ça m’avait particulièrement allumé», se souvient-il. «Je me suis ensuite mis à slamer par-dessus les compositions, en décrivant les 10 rounds d’un combat de boxe.»
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Remisé dans son ordinateur pendant plusieurs années (jusqu’en novembre 2003 plus précisément), Déflaboxe donne le ton à Rêver mieux, que l’auteur-compositeur-interprète commence à écrire en 2000.
La chanson-titre arrive aussi rapidement qu’indirectement dans le processus. «Le mannequin Ève Salvail voulait que je lui écrive une chanson. Quand on s’est rencontrés pour un meeting, je l’ai vue arriver dans une vieille Volvo, et ça m’a inspiré le texte», se souvient Daniel Bélanger. «Finalement, elle n’a pas pris la chanson, donc j’ai décidé de la chanter, comme je l’avais fait avec Les temps fous, initialement écrite pour Isabelle Boulay. J’ai à peu près juste changé le mot ‘’Volvo’’ pour ‘’auto’’.»
Au tournant du millénaire, Jean-François Lemieux (bassiste durant la tournée des Quatre saisons) présente à Bélanger le réalisateur et multi-instrumentiste Carl Bastien, qui avait préalablement fait sa marque comme claviériste pour Jean Leloup et comme arrangeur/mixeur sur Carpal Tunnel Syndrome de Kid Koala. «Je l’ai appelé, et ça a cliqué», se remémore le chanteur. «On a commencé à travailler sur un projet plutôt ardu d’électro-folk. C’est pas quelque chose qui existait dans la pop au Québec, alors on pouvait pas le copier. Fallait l’inventer.»
Au printemps 2001, le Montréalais de 38 ans écoute en boucle le nouveau Depeche Mode, Exciter : «Je me souviens d’être dans le bois avec cet album-là dans mes écouteurs. J’trouvais qu’il y avait quelque chose d’organique à écouter de la musique électro en pleine nature. Intuitivement, ça m’a guidé pour la composition.»
Côté textes, Daniel Bélanger désire chevaucher des thèmes «plus concrets», au lieu d’entretenir le flou poétique de Quatre saisons. «Je voulais provoquer des face-à-face, parler directement à quelqu’un», explique-t-il, faisant référence à la prédominance du pronom «tu» tout au long de l’album. «Y avait une volonté de parler de sujets plus sensibles aussi. Dis tout sans rien dire, par exemple, c’est une chanson qui traite de maladie mentale. Sans nécessairement parler plus de moi, je voulais aller dans le vif du sujet, sans trop m’égarer. Je voulais montrer que j’avais les deux pieds sur terre.»
Pingpong et blocage
Après avoir amorcé sa préproduction sur un MPC2000, Daniel Bélanger rejoint Carl Bastien au studio Masterkut à Montréal. Le touche-à-tout donne alors une toute nouvelle couleur à l’ensemble des compositions. «C’était vraiment lui, la maestro de la console», admet l’artiste qui, de son côté, jouait majoritairement de la guitare, de la flûte traversière et du vibraphone. «Mes structures de chansons étaient pas mal prêtes, mais il les a vraiment toutes virées à l’envers. Je faisais les arrangements, et lui, il les décrissait! Y avait une sorte de ping-pong de remix qui se faisait entre nous.»
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Au début de l’été 2001, les deux complices sont aux prises avec un important blocage créatif. «On peut appeler ça un passage à vide. Ça marchait pas, on y arrivait pas», insiste le chanteur. «On arrivait pas à faire jouer le drummer, à lui faire remplacer les drums qu’on avait échantillonnés. Pour ça et plein d’autres raisons, on tournait en rond.»
Un matin, Daniel Bélanger arrive de mauvais poil au studio. «Je suis arrivé à 9h le matin et je suis reparti à 9h30. J’étais vraiment impatient», raconte-t-il. «Je suis reparti chez nous en char et, arrivé à la maison, j’ai décidé de retourner au studio à vélo. C’est exactement là que les paroles d’Intouchable et Immortel sont arrivées. J’avais déjà composé la musique, mais je n’arrivais pas à trouver les bons mots à mettre dessus. De retour au studio, ça a débloqué.»
Le fondateur d’Audiogram Michel Bélanger propose tout de même aux deux musiciens de prendre une petite pause estivale, afin de revenir plus en forme pour finaliser l’album à l’automne.
L’exercice porte fruit : «Le bon vieux recul basic, ça fonctionne toujours. Dès qu’on s’est remis au travail, on a compris quoi prioriser. On a toutefois pas accéléré le processus parce qu’on savait que tout pouvait rebasculer en tout temps. Ce qui nous restait à faire, c’était le ménage, la mise au point, le fine tuning. On a fini ça dans l’enthousiasme, Carl et moi.»
Vif engouement
Rêver mieux paraît le 16 octobre sous Audiogram. Unanime, la critique souligne la qualité de la réalisation et la mélancolie des textes. «De proche mémoire, on ne se souvient pas d’un artiste ayant réussi à croiser aussi naturellement l’univers très structuré de la chanson à celui de l’électro-ambiant», écrit notre ancien collaborateur Patrick Marsolais le lendemain de la parution.
Deux mois plus tard, l’album dépasse le cap des 100 000 copies vendues. Loin d’être déstabilisés par le virage musical de l’auteur-compositeur-interprète, les fans sont décidément au rendez-vous. «J’ai senti que l’enthousiasme se renouvelait», résume l’artiste. «Durant la création, jamais je n’ai oublié ceux qui allaient entendre le disque. Je voulais qu’ils soient heureux et qu’ils se sentent bien en l’écoutant. Je voulais autant les étonner que les amuser.»
Le 12 mars 2002, Daniel Bélanger entame sa tournée au Spectrum de Montréal. Pour l’occasion, il est accompagné par Carl Bastien à l’échantillonnage, Alain Quirion à la batterie, Martin Roy à la basse et une certaine Ariane Moffatt aux claviers. «Quand est venu le temps de monter le show, j’ai demandé à Marc Déry s’il connaissait un ou une claviériste. Il m’a proposé la sienne», se souvient-il. «C’est drôle parce que j’avais côtoyé Ariane deux ans auparavant lors de ma tournée avec Marc et Mino Cinelu. En une quinzaine de spectacles, on ne s’était à peu près pas parlé.»
La chimie s’installe naturellement entre les musiciens : «J’ai eu beaucoup de plaisir durant cette tournée-là. Quand t’as un show qui a du succès, tu sais que tu tiens de quoi de solide. Tellement que, durant la tournée suivante pour L’échec du matériel, j’avais un sentiment de nostalgie assez fort. À chaque salle que je revisitais, je repensais à Rêver mieux…»
À l’automne, Bélanger récolte un impressionnant total de 12 nominations au Gala de l’ADISQ. Alors que son équipe met la main sur les Félix du concepteur d’éclairage (Alain Lortie) et du sonorisateur de l’année (Edward Freedman et Bruce Cameron), le chanteur récolte les honneurs dans les catégories album meilleur vendeur, album pop/rock, interprète masculin, spectacle auteur-compositeur-interprète et réalisateur de disques de l’année (avec Carl Bastien).
«C’est la meilleure réception que j’ai eue à l’ADISQ», reconnait-il. «Lors du gala, j’avais eu le ‘’go’’ de la réalisation pour chanter Intouchable et Immortel dans sa version intégrale de sept minutes.»
Dans les années qui ont suivi, l’influence Rêver mieux a été palpable sur l’ensemble de la chanson québécoise, comme en témoignent les succès honorables de Dumas, Yann Perreau, Martin Léon et, bien sûr, Ariane Moffatt.
Pour le principal intéressé, ce troisième album symbolise surtout une source intarissable de bons souvenirs : «C’était une période de bonheur. Quand je regarde ça avec un peu de recul, je me rends compte que j’ai réussi certaines affaires. La moyenne est bonne.»
Rêver mieux – en vente sur iTunes
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