Musique

Tout, tout seul

Sur Endorphine, Daran «décortique les mécanismes humains» et explore le saisissant contraste entre les sons organiques et synthétiques.

«Je fais tout, tout seul», chante Daran sur son neuvième album en carrière. Tirade contre un politicien égoïste et surpuissant qui se croit tout permis («mon ode à Donald Trump»), la pièce représente aussi le processus de création de ce nouvel opus. «J’avais cette volonté de faire un album guitare-basse-batterie, joué par moi-même de A à Z. Je voulais une immersion totale», explique le Montréalais d’adoption. «Et puis, comme c’était le cas avec Le petit peuple du bitume [son septième album paru en 2007], j’ai voulu me mettre des contraintes de départ, des murs à ne pas dépasser. D’emblée, je me suis dit que tous les morceaux de cet album allaient être électriques et que j’allais les enchaîner avec des interludes uniquement électro.»

Exigeant, l’exercice a été somme toute libérateur pour le chanteur de 58 ans. Conscient du trajet à emprunter pour arriver à destination, il s’est fié à son instinct, sans demander l’avis d’une oreille extérieure. «De toute façon, ça m’est impossible de faire écouter ma musique à quiconque avant le mixage et, même, le mastering. Je trouve ça trop personnel. En fait, je suis probablement la personne la plus secrète du monde. J’aurais pu travailler au KGB, je pense», blague-t-il.

En cours de route, le chanteur a toutefois révisé son plan de match et a appelé en renfort son batteur Marc Chartrain. «J’avais fait tout cet album seul jusqu’au bout, mais à l’arrivée, je me suis dit que Marc ferait mieux les batteries que moi. C’est le seul véritable intervenant de l’album.»

En amont, deux autres «intervenants» à considérer sont venus teinter la couleur de cet album: les paroliers Erwan Le Berre et Pierre-Yves Lebert. Si la relation avec le premier, un membre du groupe belge Atomique DeLuxe, en est une d’amitié de longue date, celle avec le deuxième en est une de grande complicité artistique.

Signant huit des dix textes, Lebert «ne fait qu’un auteur-compositeur-interprète» avec Daran – ce dernier incarnant avec une intensité transcendante les vers de son auteur. «Sans le savoir, les gens qui pensent que j’écris mes propres textes lui font le plus beau des compliments», indique le chanteur à propos de son fidèle ami qui réside en France. «À chaque album, on a toujours de longues discussions au téléphone au préalable. Quand il m’envoie un texte, je m’assure de le garder tel qu’il est, car j’aime bien les premiers jets. La beauté de son œuvre, c’est ce qui me touche le plus. Au départ, quand on a commencé à collaborer, je continuais à écrire de mon côté, mais à un certain moment, j’ai dû m’incliner devant le génie.»

Crédit : Antoine Bordeleau
Photo : Antoine Bordeleau

Que ce soit à travers le récit libérateur de Je repars, le triste constat social de Horizon ou bien la salve brute et bien sentie de Pauvre ça rime à rienEndorphine dénonce l’inaction, sans nécessairement tomber dans le répertoire engagé et moralisateur. Le constat est ici plus fort que la critique. «J’ai toujours été intéressé à décortiquer les mécanismes humains et je n’arrive toujours pas à me détacher d’une certaine vision humaniste des choses. Ce qu’il y a de bien pour moi, c’est que les problèmes ne se résolvent pas, donc ça me fait du travail jusqu’à la fin de ma vie», ironise le musicien.

Résident montréalais depuis maintenant sept ans, Daran a récemment eu l’occasion de se joindre à Jorane, Salomé Leclerc et Jean-Martin Aussant pour la deuxième tournée de Légendes d’un peuple, projet musical d’Alexandre Belliard revisitant l’histoire de la francophonie panaméricaine. Pour un artiste d’origine italienne ayant passé la majeure partie de sa vie en France, ce genre d’invitation reflète bien une forme d’inclusion à la scène musicale québécoise, même si elle avait de quoi surprendre au départ. «La phrase qu’Alexandre m’a dite et qui m’a convaincu de me joindre à son projet, c’est: “Nous, on en est Québécois de naissance, mais toi, ta voix est encore plus pertinente, car tu as choisi d’être Québécois”.»

Très heureux dans sa ville d’adoption, Daran ne délaisse pas la France pour autant. Son exil aurait d’ailleurs ravivé l’intérêt pour sa musique. «Maintenant, on me traite comme un artiste international là-bas, donc je fais de belles tournées avec beaucoup de dates. Et bon, tu connais les Français… Pour eux, si tu es rendu loin, ça veut dire que le truc est forcément bien.»

Endorphine
disponible maintenant

En spectacle :
le 7 novembre au Cercle (Québec) et le 8 novembre au Club Soda (Montréal)

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