Il y a 50 ans : Leonard Cohen – Songs of Leonard Cohen
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 50 ans : Leonard Cohen – Songs of Leonard Cohen

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale. 

Marqué par un processus d’enregistrement très laborieux, le premier album de Leonard Cohen a propulsé son auteur au-devant de la scène folk contemporaine, où brillaient déjà des maitres du genre comme Bob Dylan, Joan Baez et Judy Collins. Dans la foulée de son cinquantième anniversaire, qui a eu lieu il y a quelques semaines, on revient sur sa genèse et son impact.

Né en 1934 dans une famille juive de Westmount, Leonard Cohen s’inscrit à l’Université McGill en 1951, puis fait paraitre son premier recueil de poésie Let Us Compare Mythologies cinq ans plus tard. Après un détour par l’Université Columbia à New York,  il revient à Montréal en 1957, où il accumule les petits boulots sans nécessairement avoir de plan précis. Il se concentre davantage sur ses écrits au tournant des années 1960, période où il publie Spice-Box of Earth qui lui permet d’obtenir un plus grand rayonnement sur la scène poétique canadienne.

Durant la décennie, Cohen s’installe à Hydra en Grèce, là où il écrit les collections de poèmes Flowers for Hitler et Parasites of Heaven, ainsi que les nouvelles The Favourite Game et Beautiful Losers. La plupart de ces œuvres obtiennent un succès critique et populaire mitigé, ce qui amène l’auteur à reconsidérer son choix de carrière.

Caressant le rêve d’enregistrer un album à Nashville, l’ex-membre du groupe country Bucksin Boys (qu’il avait formé à McGill) retourne aux États-Unis, mais finit par s’arrêter quelques mois à New York, là où la scène folk connait ses heures de gloire. Là-bas, il rencontre la chanteuse Nico qui devient peu à peu sa guide touristique à travers les nombreux endroits louches et mondains de la métropole, que fréquentent assidument des artistes fastes de l’époque comme Andy Warhol et Lou Reed.

Tant bien que mal, l’auteur-compositeur-interprète tente de faire sa place dans l’industrie musicale. «Je suis arrivé à New York et je n’étais pas vraiment capable de me faire entendre», dévoile Cohen dans une entrevue accordée au réseau BBC en 1986. «Je rendais visite à des agents qui me disaient: ‘’Regarde-toi… N’es-tu pas trop vieux pour ce monde?’’ J’avais 32 ans à cette époque. Je ne mangeais pas beaucoup, je devais peser 116 livres… et je me promenais dans les clubs, à jouer, écouter et écrire. Le cliché typique du jeune auteur à New York.»

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C’est à ce moment qu’il écrit Stories of the Street, pièce racontant son désespoir durant ses premiers jours dans la ville américaine, ainsi qu’une partie de The Stranger Song, texte sur l’exil dont les racines proviennent de son errance à travers les chambres d’hôtel et les gares de train.

Entretemps, son amie Mary Martin, une jeune Torontoise qui travaille dans l’industrie de la musique, le met en contact avec Judy Collins. Cette rencontre avec la populaire chanteuse folk s’avère particulièrement décisive. «Je lui ai chanté quelques chansons, et elle les a aimées. Ensuite, je suis retourné à Montréal et j’ai écrit un certain nombre de chansons durant cette période», raconte Cohen à BBC.

Chronique énigmatique à propos d’un triangle amoureux, Master Song est écrite sur un banc de pierre à l’angle des rues Burnside et Guy, alors que Sisters of Mercy arrive durant une tempête de neige à Edmonton, là où il réside quelques mois en 1966 en tant qu’invité de l’Université de l’Alberta. «Il y avait deux jeunes backpackeuses, Barbara et Lorraine, qui n’avaient nulle part où aller», explique Cohen à propos de cette dernière chanson dans une entrevue accordée au journaliste Nigel Williamson en 1997. «Je leur ai proposé de retourner dans ma chambre d’hôtel – elles sont immédiatement montées dans le lit et se sont endormies pendant que j’étais assis dans un fauteuil à les regarder. Je savais qu’elles m’avaient donné quelque chose et, comme de fait, au moment où elles se sont réveillées, j’avais fini d’écrire la chanson et je leur ai jouée.» C’est d’ailleurs l’une des seules fois où Cohen écrit une chanson d’un seul trait, lui qui met parfois plusieurs années à peaufiner un seul texte.

Pièce maitresse de cet album en devenir, Suzanne met du temps avant d’arriver à sa version finale. «Je l’ai écrite à Montréal (…) en l’espace de quatre ou cinq mois», raconte-t-il à BBC. «Parfois, la chanson partait sur une tangente, et des couplets très respectables en ressortaient, mais cela m’éloignait de la sensation originale de la chanson. Donc, il fallait revenir à l’essence. C’est un processus très pénible, car il implique de jeter beaucoup de bonnes choses.»

L’angle se précise à travers trois couplets bien précis, inspirés par une anecdote relativement banale de la vie du chanteur. «L’épouse d’un de mes amis se nommait Suzanne [Verdal, conjointe du sculpteur Armand Vaillancourt], et elle m’avait invité chez elle, tout près du fleuve Saint-Laurent», poursuit-il. «Et elle m’a servi un thé à l’orange – je crois que c’était la marque Constant Comment. Et j’ai apprécié son hospitalité. Plus ou moins, la chanson documente ceci dans le premier couplet. Ensuite, parce que Montréal est une ville religieuse et qu’il y a des symboles de toutes les grandes confessions un peu partout… il y a ce couplet à propos de Jésus (…) Et ensuite, le dernier couplet tente de résumer, en quelque sorte, le genre de compassion et d’attention qu’un homme cherche à recevoir d’une femme.»  Satisfait du résultat, il appelle sa bonne amie Judy Collins. «Je lui ai téléphoné, et j’ai blotti le téléphone entre mon oreille et mon épaule, et je lui ai joué Suzanne. Elle a dit : ‘’Je vais l’enregistrer cette semaine, en studio.’’»

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L’album In My Life de la chanteuse parait en novembre 1966 et devient son album le plus vendu à ce jour. Grâce au texte de Suzanne, l’une des chansons marquantes du disque, Cohen attire l’attention de John Hammond, responsable de la production chez Columbia Records. Celui-ci a joué un rôle important dans l’éclosion des carrières de Billie Holiday, Pete Seeger, Aretha Franklin et Bob Dylan – pour ne nommer que ceux-ci.

Le producteur rencontre Cohen à l’hôtel Chelsea sur la 23e rue. Après avoir discuté au restaurant, les deux futurs complices montent à la chambre du chanteur. «C’est difficile de jouer pour quelqu’un, froidement comme ça; mais si vous aviez à choisir une personne devant qui le faire, ce serait John Hammond, car il rend le tout beaucoup plus facile. Je crois que je lui ai chanté Master Song, The Stranger Song, Suzanne et une chanson que je n’ai jamais enregistrée à propos des rivières. Je ne me souviens pas (…) J’ai également chanté Hey, That’s No Way To Say Goodbye», relate-t-il à BBC. «Je lui ai chanté six ou sept chansons. Il n’a pas dit un mot entre chacune d’elles. À la toute fin, il m’a dit : ‘’Tu l’as eu, Leonard’’ Je ne savais pas trop si cela impliquait un contrat (…), mais cela m’a certainement fait sentir très bien.»

Heureux de sa découverte, Hammond retourne aux bureaux de Columbia, mais ses collègues ne partagent pas son enthousiasme. Tous se demandent comment ils vont réussir à vendre au public «ce poète canadien de 40 ans».

C’est donc toujours sans contrat que Cohen fait ses débuts officiels en tant que chanteur au Village Theatre dans le cadre d’un concert de soutien à  la station de radio WBAI, qui réunit également Pete Seeger, Tom Paxton et Judy Collins. Le soir du spectacle, Cohen éprouve des difficultés avec sa voix et quitte la scène en plein milieu de l’interprétation de Suzanne. Collins retourne alors le chercher en coulisses et le convainc de reprendre la chanson à ses côtés.

De plus en plus à l’aise sur scène, Cohen se produit ensuite à guichets fermés dans un festival présenté sur le campus de Buffalo de l’Université d’État de New York en avril. Dans la foulée, on lui propose une quarantaine de concerts automnaux dans plusieurs universités américaines.

De son côté, Hammond ne perd pas de vue Cohen et profite d’un changement de direction à la tête de Columbia pour donner le feu vert au contrat du chanteur. Celui-ci sera officialisé le 26 avril 1967.

Enregistrement en dents de scie

La première séance d’enregistrement se déroule le 19 mai au studio E de Columbia, et cinq prises de Suzanne, six de The Stranger Song et six de Hey, That’s No Way To Say Goodbye y sont enregistrées avec des musiciens choisis par Hammond.

Autrement, le réalisateur ne s’ingère que très peu dans le processus de création de l’album. «Tout d’abord, il s’asseyait derrière la console, sur le côté de la console, avec un journal», raconte Cohen à BBC. «Tu n’avais pas l’impression qu’il surveillait chaque mouvement que tu faisais. Ce ‘’manque d’attention’’ qu’il affichait était, j’en suis certain, une façon très ingénieuse et maintes fois testée de mettre l’artiste à l’aise. Il semblait lire son journal, et je suis sûr qu’il lisait son journal; mais il enlevait de la pression, pour que vous puissiez sentir que vous pouviez faire une erreur, sans qu’il vous regarde (…) Il n’a jamais rien dit de négatif. Il y avait juste des degrés de son affirmation que vous pouviez percevoir, très rapidement, une fois que vous aviez appris à le connaitre. Tout ce que vous faisiez était ‘’bon’’, mais certaines choses étaient ‘’très bonnes’’. Quand c’était seulement ‘’bon’’ (…) avec tout l’enthousiasme que comportait ce ‘’bon’’, vous saviez que vous deviez faire une autre prise.»

Les sessions d’enregistrement se multiplient sans nécessairement aboutir. Désirant changer d’ambiance, Cohen déménage ses pénates au studio B, situé dans la suite de l’ancien immeuble de Columbia sur la 7e Avenue. Il y allume des bougies et y fait bruler de l’encens pour tenter de stimuler son inspiration.

Malheureusement, rien n’y fait. «Je ne savais pas chanter accompagné par un groupe de musiciens professionnels. Ils assuraient si bien que je me laissais distraire à les écouter au lieu de me concentrer sur ce que je faisais. Ils étaient tellement plus compétents», révèle-t-il à Sylvie Simmons dans la biographie I’m Your Man, parue en 2012.

Voyant Cohen quelque peu intimidé par les musiciens professionnels et très expérimentés qu’il a engagés, Hammond a la bonne idée de revenir à l’essence des compositions. Il le laisse alors travailler en tête-à-tête avec le bassiste Willie Ruff, musicien renommé au bagage classique et jazz qui a déjà côtoyé Dizzy Gillepsie, Count Basie et Louis Armstrong. Considéré comme un musicien «extrêmement sensible», celui-ci sera l’un des seuls à comprendre l’univers de Cohen. «Il savait mettre en valeur mon jeu de guitare, et il comprenait parfaitement le sens de mes chansons (…) Je n’aurais pu enregistrer ce disque sans lui», dit Cohen dans I’m Your Man.

Les sessions se poursuivent au studio C, situé dans une ancienne église arménienne sur la 30e Rue où Miles Davis a enregistré Kind of Blue. Une 16e version de Suzanne y est enregistrée ainsi qu’une toute nouvelle chanson : Come On, Marianne, pièce écrite pour sa copine de l’époque Marianne Ihlen qui deviendra plus tard So Long, Marianne. Une pause d’un mois s’ensuit en juillet 1967.

Exténué, Cohen a l’impression de «sortir de prison».

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Durant ses «vacances», le chanteur se produit au Festival folk de Newport, ce qui lui permet d’être repéré par le New York Times, qui le qualifie de «chanteur extrêmement efficace, envoutant, hypnotique». Le 22 juillet, il donne un spectacle au Pavillon de la jeunesse de l’Exposition universelle de Montréal. Très nerveux, Cohen semble «intimidé», selon les dires du journaliste Juan Rodiguez de The Gazette.

Après un concert au Festival folk de Mariposa à Innis Lake, tout près de Toronto, Cohen revient en studio avec Hammond, mais les retrouvailles sont de courte durée… Leur dernière session conjointe se déroule le 8 septembre.

Si Cohen soutient que Hammond était «tombé malade», ce qui semble plausible car le producteur avait été victime d’une première crise cardiaque juste après l’avoir engagé à Columbia, d’autres éléments seraient également au cœur de cette rupture professionnelle. «Mon parti pris de la simplicité filait la trouille à Leonard : il craignait que sa voix ne soit pas assez commerciale pour vendre des disques, alors que la simplicité était son plus grand atout», confie Hammond dans I’m Your Man.

Quoi qu’il en soit, quatre mois après ses débuts, l’enregistrement de Songs of Leonard Cohen est au point mort. Sans producteur à ses côtés, Cohen part pour Los Angeles avec, en tête, l’idée de faire un film à partir de la chanson Suzanne. Ce projet n’aboutira jamais.

John Simon et Kaleidoscope à la rescousse

De retour à New York trois semaines plus tard, Cohen rencontre John Simon, jeune producteur de 26 ans nommé par Columbia pour terminer l’enregistrement de son album. «Quand j’ai rencontré Leonard, il m’a raconté comment il en était arrivé à signer avec John Hammond et comment ce dernier avait sans cesse reporté les sessions d’enregistrement, à un point tel où il sentait qu’il était en train de pourrir à l’hôtel Chelsea. Il aurait donc supplié Columbia de lui affecter un autre producteur», raconte John Simon par courriel, citant en partie son mémoire qui devrait paraitre sous peu. «Leonard était différent des autres artistes que je connaissais. Ils étaient des enfants. Il était un adulte. Et un intellectuel. Il était déjà un poète publié.»

Cherchant à redonner l’inspiration à Cohen, Simon lui suggère de quitter l’hôtel Chelsea et l’ile de Manhattan pour investir la maison de ses parents, absents pour quelque temps. «Nous nous sommes rendus à Norwalk, et il m’a joué certaines de ses chansons. Après avoir parlé pendant un moment, j’étais fatigué et je me suis endormi. Quand je me suis réveillé le matin, j’ai découvert que Leonard, l’esthète curieux, était resté toute la nuit à feuilleter les livres de la bibliothèque de mon père», poursuit Simon.

Après avoir écouté attentivement les maquettes enregistrées par Hammond, Simon choisit la date du 11 octobre 1967 pour reprendre l’enregistrement. De retour au studio B, Cohen constate la manière différente de travailler de son nouveau complice. Sur place : aucun musicien, seulement Simon et deux ingénieurs mandatés par le syndicat. La technique intime fonctionne et, en l’espace de quatre séances étayées sur trois semaines, des versions de Winter Lady, de Suzanne et de So Long, Marianne aboutissent.

Une fois l’enregistrement du chant et de la guitare de Cohen terminé, John Simon prend les devants et change les arrangements d’instruments de Hammond pour des chœurs féminins, notamment assurées par sa copine Nancy Priddy. Il compte également y ajouter des cordes et des cuivres, ce qui va à l’encontre de l’approche plus épurée dont se réclame Cohen. «Quand Leonard a entendu le résultat, il n’était pas content», avance Sylvie Simmons dans la biographie I’m Your Man. «L’orchestration de Suzanne était exagérée, alors que tout sur Hey, That’s No Way to Say Goodbye était trop mou. Plusieurs pistes avaient trop de fond, et il y avait même de la batterie. Leonard avait clairement stipulé qu’il ne voulait pas de batterie.»

Les malentendus se poursuivent jusqu’à ce que Simon se décide à prendre des vacances. Aux côtés de l’ingénieur Warren Vincent, Cohen entreprend donc un travail de remaniement sonore, même si quelques ajouts de Simon ne peuvent être retirés de la bande maitresse à quatre pistes.

De passage au mythique club The Scene afin de voir un concert de son amie Nico, alors en pleine période de promotion pour son premier album solo Chelsea Girl paru en octobre, le chanteur  montréalais fait une découverte musicale qui changera le cours de ce premier album : le groupe Kaleidoscope. Originaire de la côte ouest, le quatuor folk rock psychédélique aux influences world accompagne sur scène la chanteuse new-yorkaise d’origine allemande. Après la prestation, Cohen part à la rencontre d’un des membres, Chris Darrow.

«Il est venu me voir et m’a demandé si nous étions intéressés à jouer sur son album», raconte Darrow par courriel. «Je ne savais pas qui il était à ce moment-là et je lui ai suggéré qu’il fasse sa demande à nos agents. Nous sommes allés à son appartement le lendemain, et il nous a montré ses chansons. Nous essayions de comprendre comment nous pouvions contribuer à sa musique.»

Suite à cette rencontre qui porte fruit, le groupe américain complété par Chester Crill, Solomon Feldthouse et David Lindley se rend au studio de Cohen, munis d’une guitare-harpe, d’un violon, d’une mandoline et de divers instruments à cordes du Moyen-Orient. «Pour nous, ce n’était qu’une session d’enregistrement payée, et nous étions tous très pauvres. (…) Nous enregistrions ces chansons aussi vite que nous le pouvions, donc cela nous laissait peu de temps pour savourer le matériel. Une grande partie de tout notre travail était spontané. Nous allions là où les idées nous menaient», se souvient Darrow, qui a joué de la basse sur So Long, Marianne et de la mandoline sur Teachers. «Cohen était un gars fantastique. Il n’était pas un très bon guitariste, donc la plupart du temps, nous essayions juste de comprendre ce dont il avait besoin et comment la chanson devait être faite. Nous étions tous des musiciens d’enregistrement chevronnés, et lui, il était nouveau dans l’équation.»

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Grâce à leur talent en improvisation, les quatre musiciens arrivent à enregistrer des versions finales de So Long, Marianne, Teachers, Sisters of Mercy, Winter Lady et The Stranger Song.

De retour de vacances, John Simon jette officiellement l’éponge pour se consacrer à l’album de Blood, Sweet & Tears. «Quand j’ai amorcé mon projet subséquent, Leonard voulait changer certains des instruments, et ça me convenait. Après tout, c’était SON album, pas le mien», affirme Simon. «Il a troqué certains de mes arrangements contre des instruments exotiques (…) Il n’avait pas de raison de faire ça. Comme Leonard le disait lui-même à l’époque, ‘’il n’y a aucune manière d’expliquer les gouts’’. Aussi brillant que Leonard était, je ne suis pas d’accord avec ça. Je pense qu’en matière de musique, votre gout est influencé par ce que vous avez entendu en grandissant, par les associations que vous avez faites entre celui-ci et vos pairs, et par la manière dont cela vous a ému (…) Bref, nous avions chacun nos préférences et (…) en dépit de ces différences de gout concernant les arrangements, il n’y avait pas un grain d’animosité entre Leonard et moi.»

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Leonard Cohen en 1967. Crédit : Jack Robinson/Condé Nast Archive/CORBIS.

Songs of Leonard Cohen parait en magasin le 26 décembre 1967 et reçoit des critiques mitigées à l’international. «Il y a trois chansons brillantes, une bonne, trois bummers qualifiés, et trois qui sont des flaming shits», écrit Arthur Schmidt du Rolling Stone en mars 1968. Moins acerbe, la critique du New York Times place Cohen «quelque part entre Schopenhauer et Bob Dylan, deux autres poètes proéminents du pessimisme».

Le succès populaire est toutefois convaincant. En plus de rester dans les palmarès britannique et australien pendant plus d’un an, l’album atteint la 83e place du Billboard 200 et finit par recevoir la certification or aux États-Unis (500 000 copies vendues) en 1989. Devenu culte, Songs of Leonard Cohen est intronisé au Grammy Hall of Fame en 2015, un honneur remis uniquement aux albums de qualité à la signification historique.

Grâce à cet opus, pierre angulaire de son faste parcours musical qui aura influencé un nombre impressionnant d’auteurs-compositeurs-interprètes comme Nick Cave, Kurt Cobain, Suzanne Vega et Jeff Buckley, Cohen a su faire sa place sur la scène folk américaine. Chez nous, son tracé hors Québec aura pavé la voie à plusieurs artistes aux ambitions internationales comme Les sœurs McGariggle, David Wilcox, UZEB et, plus récemment, toute la scène indie montréalaise menée par Godspeed You! Black Emperor, Wolf Parade, Arcade Fire, Stars et Patrick Watson.

Cinquante ans plus tard, John Simon n’a que de bons mots pour cet album. «Suzanne est magnifique. J’adore cette chanson – les cordes et les filles avec l’intensité des chœurs et de la guitare forment une texture sonore somptueuse. Hey, That’s No Way to Say Goodbye est une de mes préférées. Comme dans Suzanne, on retrouve la guitare à la tierce par rapport à la voix (…) Les paroles de The Stranger Song  m’ont fait réfléchir. Bob Dylan a ouvert la voie en trouvant un public qui veut entendre des textes plus profonds, moins banals, mais Leonard fait preuve de plus de finesse encore. En général, sa versification est plus rigoureuse, ses rimes plus justes», dit-il par courriel, citant en partie une entrevue qu’il a accordée à la biographe Sylvie Simmons.

Chris Darrow garde lui aussi un souvenir marquant de cet album. Maintenant résidant de Claremont, petite ville située à une cinquantaine de kilomètres à l’est de Los Angeles, il a revu Leonard Cohen il y a quelques années, alors que ce dernier était en retraite bouddhiste dans son coin de pays. «Un jour, j’étais au centre-ville et je l’ai vu avec une amie en train de manger à l’extérieur d’un restaurant grec. Sa tête était rasée, il portait une robe de moine et il était en train de fumer», se souvient-il. «Je lui ai demandé : ‘’Tu te souviens de moi?’’ Et il m’a répondu : ‘’’Bien sur que oui, c’est vous qui avez sauvé mon album!’’ Puis, il a poursuivi la discussion en m’expliquant que notre collaboration lui avait permis de réaliser la vision qu’il recherchait pour son premier album.»

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