Il y a 10 ans : Plants and Animals – Parc Avenue
Anniversaires d’albums marquants

Il y a 10 ans : Plants and Animals – Parc Avenue

Publiée sur une base régulière, cette chronique vise à souligner l’anniversaire d’un album marquant de la scène locale. 

Conçu avec «les moyens du bord», Parc Avenue de Plants and Animals a contribué à l’effervescence indie rock montréalaise des années 2000. Juste avant une mini-tournée visant à souligner son 10e anniversaire, on revient sur sa genèse et son impact, en compagnie de deux membres du trio.

Amis depuis leur enfance en Nouvelle-Écosse, le guitariste Warren Spicer et le batteur Matthew Woodley s’impliquent au sein de groupes rock et jazz expérimental durant leur secondaire. «On était déjà deep dans les trucs weird», se rappelle Spicer.

Alors que son complice de longue date s’offre une année sabbatique en Équateur, le guitariste s’inscrit dans un programme de musique à l’Université Concordia, où il rencontre le multi-instrumentiste Nicolas Basque. «On était dans des cours de composition électroacoustique et on aimait les mêmes jeux de guitare», se souvient ce dernier, citant le musicien expérimental Jim O’Rourke comme influence commune. «C’est vraiment en jouant de la guitare qu’on s’est connus, car je parlais pas beaucoup anglais. On aimait l’idée de constamment se dépasser en explorant différentes avenues. Quand Matthew est revenu, ça a cliqué naturellement. On n’avait pas vraiment besoin de discuter musique, chacun avait déjà trouvé sa place.»

En 2002, Spicer compose un nombre important de chansons, qu’il soumet à ses deux collègues. «On avait réussi à avoir une bourse du Conseil des arts du Québec. Au fur et à mesure qu’on faisait l’album, je me suis rendu compte qu’on devenait un groupe. Ce n’était plus un solo project.»

Enregistré au studio Economik, un magasin de musique de Saint-Henri qui comprend un espace d’enregistrement, le premier EP homonyme du trio embryonnaire paraît en 2003 sous Ships at Night Records. Entièrement instrumental, ce «mini-album» de cinq titres totalisant 50 minutes obtient un rayonnement modeste, mais permet au trio de jouer dans quelques salles emblématiques de la scène alternative montréalaise comme le Divan orange et la Casa del Popolo. «On jouait beaucoup live, et notre but c’était de composer pour jouer. Le côté post-rock de notre musique était très fort, observe Basque. À notre premier show, on était accompagnés d’un bassiste et d’un alto. C’était un peu n’importe quoi notre affaire, mais on voyait le potentiel se dessiner.»

«C’était une bonne époque pour avoir beaucoup de shows sans se mettre de pression. C’était du ‘’pay what you can’’, poursuit son collègue. Ça nous forçait à écrire et nous permettait de voir ce qui marchait ou pas.»

«C’est pas mal à ce moment-là qu’on a eu l’idée de faire un deuxième disque dans l’esprit du premier, mais un peu plus proche de notre style minimaliste et de nos longs jams improvisés sur scène, se souvient Basque. L’affaire, c’est qu’on n’était pas toujours à 100% là-dessus… À un moment donné, je commençais à être tanné et j’ai presque annoncé mon départ du groupe. Fallait vraiment qu’on mette en branle le projet du disque.»

Plus sérieux dans leur démarche, les trois musiciens se rassemblent au studio montréalais The Treatment Room à l’été 2005 avec l’idée d’enregistrer un album en quatre jours. «On voulait enregistrer des tounes instrumentales, toujours dans l’esprit du ‘’do it yourself’’. On n’avait pas de budget, pas de label. On payait de notre poche», rapporte Spicer.

«On est sortis de là pis on a réalisé que notre seule toune avec de la voix, Faerie Dance, c’était vraiment ça qu’on voulait faire, indique son collègue. On a décidé de prendre plus notre temps et de continuer le processus.»

Écrite et composée par Warren Spicer, cette fable folk progressive à propos de la vie sauvage se divise en trois parties. «Quand j’ai commencé à écrire les paroles, c’était vraiment de la bullshit, admet le chanteur, en riant. Ça ne voulait pas vraiment dire quelque chose, ça ne venait pas non plus d’une histoire personnelle. J’essayais juste de jouer avec les sonorités des mots, sans nécessairement avoir la volonté de dessiner une image claire. Je voulais que la porte soit ouverte à l’interprétation, c’est vraiment ça que je cherchais. En regardant les paroles avec du recul, j’aime vraiment le résultat. J’aime que ce soit aussi intuitif.»

Décidés à remanier la direction musicale du groupe, les trois musiciens investissent dans du matériel d’enregistrement (une console analogique notamment) et se bâtissent peu à peu un studio dans l’appartement de Spicer, situé sur l’avenue du Parc dans le Mile-End. De retour d’un long séjour au Mexique à l’été 2006, le chanteur et guitariste met les bouchées doubles en termes de composition et d’enregistrement. «Dès que je suis revenu, je ne me souviens de rien d’autre que d’être tout le temps chez moi, en train d’expérimenter.»

«On était très désorganisés, mais en même temps c’est cette naïveté et cette excitation-là qui ont façonné le son de l’album, analyse Basque. On enregistrait tout sur bande, donc ça nous forçait à prendre des décisions. Fallait choisir les bonnes takes car on avait juste une console 24 pistes avec 20 pistes qui marchaient. Y’a pas mal juste nous qui pouvaient nous comprendre.»

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Enregistrement dans l’appartement de Warren Spicer en 2006.

Sans subvention ni label, le trio finance l’album «avec les moyens du bord» et demande à ses amis musiciens (Sarah Neufeld, Annie Dominique, Kees Dekker…) de venir mettre la main à la pâte. Sans compte à rendre, le groupe ne se met pas d’échéancier. «On savait qu’on arriverait à finaliser ça un jour, alors on n’était pas pressés. Je me souviens que nos proches en étaient moins convaincus. Ils nous demandaient sans cesse: ‘’What are you doing?’’», se rappelle Spicer.

«Le monde riait de nous presque… Certains croyaient qu’on y arriverait jamais», ajoute Basque.

Secret City et l’envol international

Une fois les parties instrumentales majoritairement enregistrées, Warren Spicer entame l’écriture des textes. «C’étaient les premières tounes que j’écrivais, et y’avait beaucoup de chance là-dedans. Je sentais que je pouvais aborder n’importe quoi, car tout était un nouveau terrain à explorer. Par exemple, dans New Kind of Love, je parle de mon enfance, sans me mettre de barrières. Maintenant, si j’avais à faire le même exercice, j’aurais plus de pression.»

Les voix sont enregistrées subséquemment, encore une fois de manière très artisanale. «On faisait tout ça dans la chambre d’ami de Warren. La plupart du temps, il chantait, moi je faisais l’ingénieur et Woody était sur le divan, relate Basque. En fait, y’avait toujours quelqu’un sur le divan, sans headphones, qui entendait Warren chanter sans trop savoir ce que ça donnerait. C’était assez messy.»

À la fin de l’année 2006, l’ensemble de ce qui deviendra Parc Avenue est presque finalisé. Suivant la carrière du groupe depuis quelque temps, Justin West est intéressé à faire paraître l’album sous sa toute nouvelle étiquette Secret City Records, derrière le succès du populaire Close to Paradise de Patrick Watson lancé quelques mois plus tôt. «Il y avait beaucoup de négociations à ce moment. Le label avait entendu l’album… ou presque», indique le chanteur.

Au tournant de 2007, les trois complices créent la chanson qui deviendra la rampe de lancement de leur album : Bye Bye Bye. «C’est la dernière toune qu’on a faite. On est allés dans un chalet au Nouvel An pour l’enregistrer», se rappelle Basque.

«On sentait qu’on avait évolué et qu’on n’était plus uniquement un groupe strange minimaliste. On montrait qu’on était ouverts à tout», poursuit Spicer, avant d’y aller d’une anecdote sur l’écriture du texte: «La chanson est inspirée d’un article que j’avais lu dans le journal à propos du Pôle Nord et de la fonte hâtive des glaces, qui avait comme conséquence de réveiller trop tôt les ours polaires de leur hibernation. You have woke up too soon, ça vient de là. Je me rappelle d’avoir expliqué la chanson à Woody, qui a un baccalauréat en anglais. Il était vraiment impressionné et surpris. Ça n’est jamais arrivé depuis! (rires)»

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Le long et complexe mixage de l’album se poursuit jusqu’au printemps 2007. Le mélange hétéroclite des genres et des ambiances qui s’y retrouvent donne à Andrew Rose, cofondateur de Secret City, l’idée du titre. «Quand il nous a suggéré Parc Avenue, on a tous fait ‘’WOW’’, raconte Basque. Ça avait beaucoup de sens, car tout comme la rue, l’album était un collage de plusieurs choses disparates. Ça avait une résonance très ‘’Montréal’’, et le timing était parfait. À ce moment-là, on pouvait sentir qu’il se passait quelque chose ici: y’avait plein de nouveaux groupes, plein de nouvelles salles… Warren habitait sur Parc aussi.»

Très solidaire, la communauté indie rock montréalaise est tout particulièrement active dans le Mile End, notamment au bar Green Room (dorénavant fermé). «Tous les musiciens de ce temps-là allaient là. Entre nos sessions de studio et de mixage, on allait y prendre des bières. C’était un endroit trash avec un jukebox pis des soirées de DJ», se rappelle Spicer.

Durant l’été, Secret City Records convainc le trio d’enregistrer un EP, qui servirait à promouvoir l’album. Contenant quatre chansons dont Faerie Dance, With/Avec paraît en septembre à Pop Montréal. La technique fonctionne, et le groupe devient peu à peu la sensation de l’heure sur la très médiatisée scène locale. Invité à faire la première partie de Patrick Watson à l’automne, Plants and Animals retient également l’attention durant le festival islandais Iceland Airwaves en octobre. En décembre, le Divan orange est rempli à craquer lorsque le groupe s’y produit. «C’est la première fois qu’on donnait un concert en tête d’affiche et que c’était pas juste nos amis qui étaient là. On gagnait de la crédibilité», estime Basque.

Parc Avenue parait en février 2008 et obtient un succès critique instantané, notamment sur le site américain Pitchfork qui lui octroie la note très enviable de 8/10, ainsi que sur le webzine PopMatters, qui y va d’un généreux 9/10. «Plants and Animals ne donne jamais l’impression d’être sur le pilote automatique. Une imagination délirante structurée par une force mélodique indéniable», écrit notre collaborateur Olivier Robillard Laveaux le 21 février.

«Là, on ressentait un vrai buzz. Les gens étaient curieux. Mais ça restait un succès alternatif. Nous ne sommes pas arrivés à NYC comme des vedettes», nuance Spicer.

Signe de sa popularité grandissante, le trio joue en première partie de The National, Born Ruffians et Gnarls Barkley, et enchaîne les séries de spectacles un peu partout dans le monde. En tournée, il doit relever le défi de donner une direction plus sobre aux arrangements riches et complexes de ses chansons. Si l’exercice s’avère facile la plupart du temps, les trois musiciens font parfois face à des foules moins réceptives. «On a eu quelques mauvais shows, confie Spicer. On était trop inexpérimentés pour être capables d’être à l’aise devant une mauvaise vibe. Des que ça arrivait, on regardait par terre et on se renfermait sur nous-mêmes.»

Au Québec, les spectacles s’accumulent en 2008 et 2009. À l’instar de Patrick Watson, le trio cherche autant à développer ses marchés internationaux que québécois, attitude peu commune pour un artiste anglophone issu d’une scène indie montréalaise aux ambitions de grandeur. Cette ouverture à l’industrie musicale québécoise trouvera ensuite écho auprès de Duchess Says, Land of Talk, Random Recipe, We Are Wolves, Half Moon Run et autres artistes d’ici évoluant en anglais.

Dix ans après cette éclosion remarquable, le trio a le recul nécessaire pour analyser son parcours.  «Disons qu’on a été chanceux que le weird qu’on aimait soit devenu populaire», indique Basque, citant des artistes à succès de l’époque tels que Patrick Watson, Fleet Foxes et Grizzly Bear.

«Pour moi, c’est vraiment l’album de la joie. Si on avait été smart, on aurait poursuivi dans cette direction, mais on a décidé de tout tasser ça pour faire de quoi de nouveau. On a rejeté Parc Avenue pour quelque chose de plus rock», explique Spicer, évoquant le deuxième album La La Land paru en 2010. «En fait, à chaque nouvel album ou presque, on coupe les liens qu’on avait fait avec notre public pour aller en chercher un autre. On n’aime pas se répéter.»

Parc Avenue
en vente sur le site de Secret City Records

Tournée 10e anniversaire :
le 15 mars à L’Anti (Québec)
le 16 (sold-out), 17 (sold-out) et 18 mars au Ministère (Montréal)

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