Rap local : Lord of the Sexy Dragon, tuer l’ego
Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, bons coups de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.
Olivier Boisvert-Magnen
Photo : St-Saoul et Syme de Lord of the Sexy Dragon (Crédit : Julie Soto)
Entrevue //
Composé de St-Saoul et de Syme, deux vétérans de la scène rap montréalaise, Lord of the Sexy Dragon se dévoile avec Greatest Hits, un premier EP créé en étroite collaboration avec le rappeur Suspek-T (alias Sauce).
Vous avez levé le voile sur Lord of the Sexy Dragon en décembre dernier avec le clip coloré et assez déjanté de CPASPOURLEDOUX. Clairement, l’intention était de montrer à vos fans que vous tiriez un trait sur votre passé?
Syme : C’était surtout pour faire jaser. D’emblée, il faut savoir que c’est un délire qu’on a eu en écoutant du Lil Pump. On voulait montrer à tout le monde que nous aussi, on pouvait se la jouer Souncloud rappers. C’était ça, la joke.
St-Saoul : Mais y’avait aussi cette idée de la cassure violente par rapport à notre passé. On s’est surtout fait connaitre dans des créneaux de rap plus sérieux. C’est cool, mais quand tu vieillis, tu comprends des choses sur toi. L’une d’entre elles, c’est qu’on voulait se permettre plus de délire.
[youtube]pq0eVNLqZZw[/youtube]
Auparavant, aviez-vous l’impression d’être pris dans un certain carcan de rap?
Syme : Ouais, le genre d’étiquette de rap de blancs fâchés avec le crâne rasé! (rires) Là, on a des cheveux de toutes les couleurs pis on s’habille n’importe comment. On n’est pus en mode «j’fais du rap donc faut que j’aie l’air tough». Au contraire, on a tué nos egos.
St-Saoul : Quand tu fais du rap depuis aussi longtemps que nous, tu te rends compte que t’as fait le tour des codes et que t’es relativement pogné dans ton genre. Reste qu’on est aussi des gros fans de Kanye West et qu’on voulait depuis longtemps être plus créatifs. Le rap, c’est pas juste fait pour la réflexion et l’introspection. Ça peut être le fun des fois.
Jusqu’à maintenant, qu’observez-vous comme réactions?
St-Saoul : C’est sûr que, quand t’arrives avec quelque chose de complètement différent, tu dois t’attendre à un débalancement. Ça prend une période d’adaptation. Moi-même, la première fois que j’ai écouté 4,99 d’Alaclair Ensemble, j’ai pas compris ce qui se passait. Après 10 écoutes, par contre, j’ai compris que c’était vraiment bon.
Votre premier EP s’appelle Greatest Hits. C’est une façon d’annoncer la teneur ironique du projet?
Syme : Ouais, pis aussi de faire le reverse d’un groupe avec une longue durée. Nous, c’est notre première mixtape qui est un «greatest hits»!
St-Saoul : Reste que y’a un pourcentage de ce projet-là que je considère comme sérieux. À mon avis, c’est la meilleure démarche artistique que j’ai eue en carrière. Maintenant, je m’en fous complètement d’avoir un 16 barres et un refrain, je veux juste faire des bonnes chansons.
Syme : Dans notre crew de rappeurs, on a toujours été ceux qui chantaient le plus. Donc, naturellement, on a été attirés par ce genre de rap plus mélodieux, qui est rendu à la mode aujourd’hui. Ça nous pousse à nous assumer davantage dans ce qu’on est.
St-Saoul : On a toujours été des gars ouverts à plein d’affaires et, maintenant, on veut que ça transparaisse dans notre musique, au lieu de faire uniquement de la musique négative ou consciente.
Syme : Avant, j’faisais juste du rap fâché, alors que là, j’me sens plus libre et positif. Ça va pas mal mieux de même.
Bref, malgré ce qu’on pourrait interpréter suite à une première écoute sommaire, vous ne jouez pas de personnages ici?
Syme : Pas vraiment, en effet. On fait juste s’inspirer du beat et regarder où il nous mène.
St-Saoul : On essaie de servir la chanson plutôt que de s’en servir pour passer un message ou un état d’esprit, comme on avait tendance à le faire avant.
En terminant, St-Saoul, tu tiens ici le rôle de compositeur du projet. Comptes-tu éventuellement reprendre le micro?
St-Saoul : Oui, c’est pas mal sûr que je vais performer sur les prochains projets, mais pour l’instant, je me plais beaucoup dans le rôle de réalisateur. C’est jamais bon d’essayer de porter tous les chapeaux en même temps.
La nouvelle de la semaine //
Pour la première fois de son histoire, le Prix de la chanson SOCAN laisse une place de choix au hip-hop d’ici, en mettant de l’avant quatre chansons rap au sein de ses finalistes. Il s’agit de Pas né d’Obia le chef, Zaybae de FouKi, T’as pas cru de Sarahmée et On fouette de Tizzo avec Shreez et Soft. Au courant de ses 13 précédentes éditions, ce concours (qui permet notamment aux auteurs et compositeurs de la chanson gagnante de remporter une bourse de 10 000$) n’avait fait qu’une place assez discrète au rap, nommant uniquement La paix des braves de Loco Locass et Samian (2008), The Christ is Right de Gatineau (2008), Publi-Sac d’Eman X Vlooper (2015) et Explosif de Dead Obies (2017). À deux reprises seulement, le rap a triomphé, soit en 2012 avec St-Eustache de Koriass et l’an dernier avec 56K de Loud. Le vote du public pour l’édition 2019 bat son plein, et on connaîtra l’identité du gagnant plus tard ce mois-ci.
[youtube]1QHbt4cGNkc[/youtube]
Le projet de la semaine //
Deux projets ont retenu l’attention cette semaine, à commencer par le Greatest Hits de Lord of the Sexy Dragon. En dépit se son abus d’Auto-Tune, ce premier EP du groupe montréalais dévoile une folie libératrice, à peine contrôlée. Soutenus par les productions de St-Saoul, qui prend un plaisir manifeste à s’approprier les codes actuels du rap, Syme et Sauce teste différents flows dans une approche beaucoup plus pop que d’habitude, prenant le risque bien évident de se mettre à dos leur bassin de fans plus puristes du Casse-Croute. À l’avenir, on pourrait toutefois espérer que cette fièvre créative soit un peu plus canalisée, et qu’elle se marie à un mixage plus rigoureux.
[youtube]35cAXKXGNHc[/youtube]
Ensuite, on note Flocon Zow de Demon D.O.A. en compagnie des indissociables alliés Tizzo et Shreez. Reprenant leurs thèmes habituels (la drogue, l’argent, la rue), les trois rappeurs mélangent leurs univers respectifs avec brio, alternant entre trap tranchant et envolées pop plus accrocheuses.
La chanson de la semaine //
Lord Gasp est à son meilleur sur Guillotine, courte et intense chanson trap où il déploie avec souplesse deux styles de flow distincts, l’un posé et l’autre surexcité.
[youtube]EQgTDYF0bNc[/youtube]
Mention aussi à l’apaisante Twilight de Monk.E, extraite de son huitième album solo à venir, et à la percutante Zero Sleep Freestyle de DeusGod, produite par Austin J.
[youtube]PGk77t2HRtU[/youtube]
L’instru de la semaine //
Tout comme la semaine passée avec Musa, Vol. 3 de DJ Manifest, on met le cap sur un album plutôt que sur une pièce en particulier. Sur sa septième beat tape Satelitte, le Montréalais LiamLiamLiam se réinvente admirablement, en explorant des horizons jazz et funk rétrofuturistes.
Le clip de la semaine //
Réalisé par Vincent Ruel-Côté et Philippe Chagnon, Lait de chèvre nous plonge dans une haletante épopée, qui rappelle l’esthétique et le scénario des films de gangsters modernes. Koriass et FouKi y jouent deux bandits investis d’une mystérieuse quête culminant à la toute fin. Un excellent clip pour cette mémorable collaboration entre les deux rappeurs.
[youtube]hMWWhjRjKb0[/youtube]
Dans un style plus conventionnel, mentionnons Bye bye de White-B, clip réalisé par La cour des grands qui accumule les dizaines de milliers de vues depuis sa sortie vendredi.
[youtube]Cwa91Iu9yaM[/youtube]
Les spectacles à voir //
Montreality x KAJ – Mural Art Pub
La soirée sera intense à souhait ce jeudi dans le cadre d’un événement organisé par Montreality dans le cadre du festival Mural. On pourra notamment y voir défiler Qi Yama, Tommy Kruise, Tizzo, Jeune Loup et Roi Heenok.
Mural Art Pub au 3523A boulevard Saint-Laurent (Montréal), 6 juin (23h)
Le talentueux rappeur JT Soul viendra présenter les chansons de son deuxième EP Goodbye, Lightspeed en compagnie de Rymz et de Kallitechnis.
Le National (Montréal), 6 juin (19h30)
Dramatik & KNLO à Limoilou en Musique
Tous deux signés sous Disques 7ieme Ciel, Dramatik et KNLO viendront présenter les chansons de leur nouvel album solo, respectivement Le phénix, il était plusieurs fois (lancé le mois dernier) et Sainte-Foy (dont la sortie est prévue pour ce vendredi).
Limoilou en vrac (Québec), 7 juin (19h45)
Les colocs Vendou et Kirouac s’unissent avec leur bande (notamment le producteur Kodakludo, le rappeur Franky Fade et le DJ Lewis Dice) pour un rare spectacle dans la capitale.
L’Anti (Québec), 7 juin (20h)
[youtube]Ixtaa2vDbO4[/youtube]