Rap local: L'exploration délirante de Jay Sea et John Truth
Musique

Rap local: L’exploration délirante de Jay Sea et John Truth

Issus du collectif DelicatesSound, les rappeurs montréalais Jay Sea et John Truth livrent le ludique et plutôt déroutant J’ai scié John Truth, un EP créé en collaboration avec les producteurs Badmninto et Maxtone.

Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, bons coups de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.

Entrevue //

VOIR: On vous a connu au sein de DelicatesSound, collectif avec lequel vous avez fait paraître un album assez disjoncté en 2018. En formule duo, que vouliez-vous explorer de différent?

John Truth: For real, ça a permis de mélanger nos deux univers: celui de Jay Sea qui verse souvent dans le folk et le mien qui va parfois dans des zones plus hard ou métal. Pour le reste, Badmninto et Maxtone ont juste eu à faire le pont entre les deux. On s’est pas posé de questions.

Ça prend plusieurs écoutes pour vraiment entrer dans votre trip musical. Vouliez-vous consciemment que ce trip soit impénétrable ou vous avez tout de même fait des efforts pour doser votre folie?

Jay Sea: Les beats de Badmninto et Maxtone sont tellement forts qu’on savait qu’à un certain moment, les chansons allaient finir par résonner chez les gens. Mais au-delà de ça, on n’a pas cherché à ce que l’oeuvre plaise à tout le monde. On est dans une grosse phase d’exploration et on voulait juste se laisser aller.

John Truth: Pour ma part, je mets des efforts pour que mes textes soient compréhensibles, mais malgré tout, je peux pas m’empêcher d’être absurde. J’ai grandi sur du Plume, sur Les Denis Drolet. Je me demande jamais vraiment si les gens vont comprendre ce que je fais.

Maxtone et Badmninto. Crédit : Aniki Fournier.

Avez-vous également été influencés par Alaclair Ensemble et toute la vague de rap québécois plus décomplexée de la décennie dernière?

John Truth: Dur à dire… C’est sûr qu’Alaclair me fait vraiment triper, mais je me suis jamais demandé si ce que j’écoute avait une influence directe sur ce que je fais. La touche humoristique, c’est quelque chose de naturel, presque inné.

Jay Sea: Moi, j’ai quand même été pas mal influencé par tout le rap québécois qui s’est fait après 2010. Alaclair, ça a été une révélation. Ça m’a montré qu’on pouvait faire du rap, tout en ayant du fun. J’aime aussi cette idée de rester humble dans son rap, un style qui est pourtant reconnu pour son côté brag. 

Au-delà de leur côté absurde, notamment incarné par le titre très unique du EP, comment décririez-vous vos textes? 

Jay Sea: J’ai scié John Truth, ça réfère à cette idée de casser l’ego… Casser l’ego pour ensuite mieux lâcher son fou.

John Truth: Sauf que moi j’ai été scié ben raide… On m’a jamais demandé mon avis! (rires) On the real, je suis d’accord avec ce que Jay dit, mais moi je réfléchis pas vraiment à ce que je veux dire sur le coup. C’est vraiment par après que l’interprétation arrive.

Des exemples?

Jay Sea: Sur Popcorn, on avait un sample médiéval, ce qui m’a inspiré à parler de mon héritage familial et de mes ancêtres. Après ça, John est arrivé avec un texte sur ce qu’on vit aujourd’hui, sur le fait que y’a rien dans notre frigo et que c’est parfois difficile. On a compris le lien évolutif par après. Sinon, sur Briquets, c’est d’abord Maxtone qui m’est arrivé avec un hook qui parlait de bricks. Et c’est là que je me suis rappelé que j’avais des centaines de briquets promotionnels chez nous et que ça pouvait faire un bon lien avec son texte. Je trouvais ça drôle de brag que j’avais de la merch de briquets plutôt que des bricks de coke. On aime l’idée de conserver la forme et l’énergie du rap, mais d’avoir un fond totalement différent.

J’ai l’impression que les beats suivent aussi cette approche: la forme est assez trap et moderne, mais le fond est assez expérimental et champ gauche. C’était votre intention de jouer avec les codes?

John Truth: C’est impossible que Badmninto fasse quelque chose de pas expérimental. Même quand il sort juste un drum pis une basse, il va toujours ajouter un petit truc vraiment spécial. Il cherche toujours à créer quelque chose qu’il a jamais entendu.

Jay Sea: C’est bien particulier de le voir aller. Flying Lotus, Fontarabie et Metro Boomin sont ses principales influences, et je crois que ça en dit beaucoup sur lui.

Comment était la chimie à quatre durant l’enregistrement?

John Truth: On se rencontrait chaque dimanche, à la bonne franquette… Maxtone arrivait souvent avec des beats qu’il avait faits chez lui, tandis que Badmninto construisait des beats selon son inspiration du moment.

Jay Sea: C’était intéressant de travailler à quatre et de se challenger. Ça nous a justement forcés à laisser notre ego de côté et à choisir uniquement les meilleures idées. 


La nouvelle de la semaine //

Au-delà des nombreux spectacles annulés ou reportés en raison de la COVID-19, dont ceux de White-B, Souldia, Naya Ali (qui devait se produire à SXSW) et LaF (qui, selon toute vraisemblance, ne sera pas au Club Soda ce samedi), la nouvelle qui retient notre attention cette semaine s’avère beaucoup plus positive, soit l’annonce historique du premier spectacle de rap québécois à la Maison symphonique. Sous la direction de la cheffe d’orchestre Dina Gilbert, le concert Hip-hop symphonique regroupera l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), Alaclair Ensemble, Dead Obies, Koriass et Fouki (accompagné par son producteur/complice de scène QuietMike) les 19 et 20 janvier 2021.

[youtube]Rrx0EhIUUvM[/youtube]


Le projet de la semaine //

Quatrième volume d’une série de projets à thématique hivernale amorcée en février 2017, North Face and Tech Fleece 4 du producteur montréalais Pro-V marque par son échantillonnage robuste, ses rythmes boom bap bruts et ses scratchs bien dosés.

Dans une esthétique tout aussi brute, voire rude, mention à Skeem Team, première parution du beatmaker Fist of the North Star, parue sous l’étiquette de Québec III Informé à la fin février.


La chanson de la semaine //

Trois chansons trap s’illustrent: la courte mais intense RAMMF de Zach Zoya, la minimaliste aux influences west coast des années 1990 Floating du duo Dope.gng ainsi que l’accrocheuse Goélands, mémorable rencontre entre Kirouac, Marie-Gold et Lydia Képinski sur une puissante production de Daysiz (du collectif franco-québécois Novengitum).

[youtube]VIQxuGrjrK8[/youtube]

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L’instru de la semaine //

Le Montréalais KVNB. annonce la sortie de son album N U A G E S I I, à venir le 25 avril 2020 sous Uglypitch Records, avec Drm Chsr., pièce lo-fi aux teintes soul vaporeuses.


Le clip de la semaine //

LaF présente un remarquable clip à l’esthétique onirique pour l’excellente Cadran solaire. Les réalisateurs Felipe Arriagada-Nunez et Olivier Côté y proposent une mise en scène aux couleurs froides et aux teintes suintantes.

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