Restos : l'envers du décor
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Restos : l’envers du décor

Avec la place croissante des réseaux sociaux, la déco joue un rôle primordial dans l’attraction de nouveaux clients. Le rythme effréné des ouvertures de nouveaux restos permet d’ailleurs l’émergence de tendances design propres au milieu de la restauration. Comment se réfléchit une déco de resto, à l’heure où le contenant est devenu presque aussi important que le contenu?

Quand on ouvre un resto, on pense à la cuisine, au concept, au nom et, bien sûr, à son intérieur. Quelques restaurateurs travaillent leur déco seuls, que ce soit par envie de personnaliser l’endroit – cf. La Garde partagée et ses photos de famille – ou par manque de budget, mais ils sont de plus en plus à faire appel à des designers pour réfléchir à l’identité visuelle de leur établissement, des couleurs à l’agencement du mobilier.

«La déco, ça devient de plus en plus important pour tous les restaurateurs, souligne Caroline Comtois, de Comtois Design. Sortir au restaurant est un plaisir donc les gens veulent se prendre en photo pendant ce moment de bonheur, pour lequel ils se sont faits beaux. Les clients photographient tout: le décor, mais aussi les détails, la vaisselle… Et ça se retrouve ensuite sur Instagram.»

Restaurant LOV

Dans le centre-ville de Montréal, le restaurant LOV est bien connu pour son décor tout en blanc, plantes et osier qui évoque la plage, et dont de nombreux clichés parsèment les réseaux sociaux. La clientèle, assez jeune, prend énormément de photos et des touristes viennent y manger car ils ont vu le LOV sur Instagram. Au resto, le personnel s’adapte:

«On accueille les clients quand ils arrivent, mais on leur laisse aussi le temps de se poser, de regarder. Une fois sur deux, les gens vont s’exclamer sur la beauté du lieu, raconte Geneviève Pelletier, qui travaille au LOV depuis deux ans. Une des choses qui m’a surprise ici, c’est l’état d’extase dans lequel les gens sont en arrivant. Ils prennent le temps de se laisser émouvoir, puis la conversation vient sur le côté zen de l’endroit. Ça fait 25 ans que je travaille en restauration, mais ça, c’est vraiment propre au LOV. C’est une belle preuve de l’impact qu’a le design sur les gens…»

Plantes et look nordique

En design, il y a les stars du milieu comme Zébulon Perron (Atelier Zébulon Perron) ou Amyline Phillips (La Chambre Design & Co.), qui signent la plupart des intérieurs de restos à Montréal. Des restos qui deviennent des catalogues de tendances et dont l’intérieur devient parfois aussi attractif que leur menu. D’où le fait qu’on a parfois l’impression de voir le même décor dans plusieurs restos – Gypsy ne vous évoque-t-il pas Venice?

«En effet, ce sont souvent les mêmes qui font les restos. Mais Zébulon, par exemple, se réinvente à chaque fois, ce n’est jamais la même chose, nuance Caroline. Chaque designer a sa signature à lui, et chaque projet a son identité. La planification reste propre à chaque endroit; ressembler aux autres, personne ne veut ça, ni le designer ni le restaurateur…»

La Halte café-buvette

Bien sûr, il y a des tendances, comme l’abondance de plantes, une formule qui fonctionne bien actuellement et qu’on retrouve dans beaucoup d’endroits. Ou encore le style nordique: «Au Québec on aime l’épuré, les tons clairs… Le look scandinave, ça nous attire. C’est dû au climat, explique Caroline. On va moins opter pour des looks créoles, par exemple. Le design va aussi avec ce qui est servi comme type de bouffe; c’est pour ça qu’il est très important que le resto ait aussi une signature bien précise en cuisine.»

S’il y a des lieux qui commencent à se ressembler, l’un des facteurs en cause est sans doute Pinterest. Mais c’est aussi grâce à ce site que niveau du design au Québec s’est beaucoup amélioré ces dernières années, avance Caroline, qui trouvait moins évident de s’inspirer visuellement avant. Parmi les intérieurs qu’elle aime, elle cite notamment le Rouge-Gorge, Marcus, le Café Ssence («japonisant, épuré mais pas trop») ou Big in Japan. «Celui-là il est vraiment différent, il a sa signature à part avec son comptoir. C’est un endroit que j’aurais aimé avoir pensé.»

«Je voudrais que ma cuisine ressemble à chez vous!»

Designer un projet peut prendre quatre à six mois. À son CV, Caroline compte la Chocolate Factory – avec Zébulon Perron -, feu le Pierre Gabriel, dans le Vieux-Port de Montréal, ou encore une partie du resto et la section bar de l’hôtel Clarendon à Québec. Plus récemment, elle a designé la Halte | Café + Apéro à Longueuil (qui s’est d’ailleurs valu le titre de «café-buvette ultra instagrammable» par Silo57). Dans ce lieu, elle a tout fait, de la planification de l’espace à l’architecture intérieure.

«Je pars de l’enveloppe du bâtiment et je créé l’intérieur selon la vision et la direction du client, explique Caroline. Ici ils voulaient un café-buvette: avec les deux orientations, il fallait que ce soit aussi intéressant de jour que de soir, avec une ambiance qui se prête bien aux deux contextes. De jour, les gens remarquent plus les petits détails, comme les plantes, qui mettent beaucoup de vie. En fin de journée on veut une ambiance plus feutrée, avec de l’éclairage indirect et plus tamisé. Le grand îlot se prête bien aux événements du soir.»

Halte | Café + Apéro

Quant au fameux design du LOV, c’est «une conception du bien-être» explique Geneviève Pelletier, un décor synonyme de détente et de bien-être qui répond au besoin de prendre soin de soi. «Ce qui marque le plus les clients, c’est la verdure. J’entends souvent: « Je voudrais que ma cuisine ou ma cour ressemble à chez vous! »». Certains clients demandent d’ailleurs le nom de la designer – c’est Jacynthe Piotte – ou la marque de certaines pièces du mobilier, comme les balançoires.

Une implication émotive

La particularité des restos pour un designer? Contrairement à un espace de bureau ou tout autre projet commercial, il y a plus d’implication émotive de la part du client. «Dans les restos, les gens investissent leur vision, explique Caroline. C’est leur bébé, leur rêve.» C’est aussi un lieu de vie et de rassemblement: il faut donc penser aux petits détails – le type de service par exemple. «Avec les nombreux équipements que ça implique, un resto c’est ce qu’il y a de plus complexe à designer.»

Caroline apporte un soin tout particulier à l’éclairage, car c’est principalement ça qui fait l’ambiance. Sa signature s’est précisée autour d’intérieurs épurés, dans les tons blanc et vert émeraude, avec une jolie influence milieu de siècle. Pour s’inspirer, elle recommande de sortir souvent dans les restaurants pour mieux cerner les ambiances, vivre le moment et s’attarder aux détails.

«Le plus stimulant, c’est de voyager et sortir de chez toi. Voir ce qui se fait à l’étranger est vraiment la meilleure source d’inspiration et d’idées nouvelles.» Caroline est en outre abonnée à de nombreux sites de design pour voir ce qui se fait, et elle cite de nouveau Pinterest, qui donne un bel aperçu. Sa recette du succès? Privilégier un design durable et intemporel.

Mais quel que soit le design, il ne faut pas que le restaurateur néglige l’assiette, conclut Geneviève, du LOV. «Un beau décor, c’est comme une coquille. Ça attire une première fois, mais si le reste de l’expérience n’est pas significatif, le client ne reviendra pas!»

La Halte café-buvette