Les Érotisseries : Peau mouillée et sexes turgescents
L’érotisme est une affaire bien ambiguë, souvent bien racoleuse mais parfois franchement poétique. C’est à cette fine frontière, quelque part entre l’effeuillage sexy et l’art revendiqué, que la compagnie Carmagnole se pose pour quelques représentations des Érotisseries.
À quelques nuances près, même si elle ratisse plus large et va dans plusieurs directions, la démarche de la compagnie Carmagnole s’articule autour du même grand questionnement que le spectacle Danse à 10, de La 2e porte à gauche, vu l’an dernier au Kingdom’s gentleman club. Chercher dans l’érotisme un territoire artistique, en sortant des clichés tout en flirtant avec eux: voilà le grand pari que ce spectacle cherche à remporter en déclinant une suite de tableaux vivants, imagés et acrobatiques.
Plus facile à dire qu’à faire.
Il faut reconnaître à ces artistes issus du cirque et de l’art forain une grande habileté à installer une ambiance sexy qui émoustillera les spectateurs jusqu’à entraîner certains d’entre eux dans l’impudeur après qu’ils aient choisi le forfait «mouillé» (pour spectateurs aventuriers). Les explorations érotiques arrivent par moments à atteindre le seuil poétique, notamment quand l’acrobate aérien Jonathan Fortin s’en mêle (nu, il offre un numéro de sangle aérienne aussi fragile que viril) ou quand Catherine Desjardins-Béland transforme une danse poteau en virtuose numéro aérien sur mât chinois. Même émotion dans l’un des numéros finaux, où le corps d’une femme enceinte (Marjorie Nantel), loin de perdre son potentiel érotisant, est transcendé dans un très beau numéro de tissu d’acrobatie.
Mais lorsque le spectacle explore les cultures orientales, insistant notamment beaucoup sur la figure de la geisha, la pièce est hélas plus caricaturale et frôle la grossièreté. Il y a dans cette exploration d’une imagerie ancienne et dans le rapport à certaines mythologies érotiques orientales un parti pris stimulant: celui de retourner aux sources de l’érotisme dans l’imaginaire ancestral et d’y chercher l’essence, le fondement, la fascination originelle. Si le spectacle avait le temps d’y plonger davantage, il aurait même pris une couleur philosophique et spirituelle, sondant Eros et Thanatos par l’entremise de la mythologie et du sacré. Mais les séquences montrant une geisha répondant aux avances d’un moustachu au phallus turgescent sont bien plus anecdotiques que transcendantes, hélas.
Les quelques numéros qui puisent dans un langage plus chorégraphique, enroulant les corps les uns contre les autres dans des étreintes désespérées, sont exécutées un peu sommairement et perdent ainsi de leur force, malgré les images puissantes que l’on entrevoit dans l’halètement de ces corps qui cherchent à rester soudés. L’érotisme, ce n’est rien d’autre qu’une quête de l’autre dans une ambiance fantasmatique, irréelle. La chorégraphie montre cette recherche de l’inatteignable de façon plutôt laborieuse.
S’il y a diversité de tons, il y a aussi diversité de corps: il est particulièrement satisfaisant de se sentir érotisé par des physiques et des énergies qui n’ont rien à voir avec ce que propose l’industrie du X. Vivement que l’art s’accapare un peu plus l’érotisme et le sexe, même le sexe cru. La fiction cinématographique le fait depuis longtemps et s’aventure de plus en plus dans l’explicite, en y révélant de la beauté (je pense notamment à Lars Von Trier et son Nymphomaniac mais aussi à L’inconnu du lac, d’Alain Guiraudie). Je suis d’avis qu’il y a là un filon à exploiter davantage sur nos scènes.
Notez que ce spectacle diffère de la version présentée en 2005
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