Théâtre à lire / Fuck you, de Steve Gagnon
Scène

Théâtre à lire / Fuck you, de Steve Gagnon

« Ok / J’vas l’faire / J’vais envoyer chier des gens ». Ainsi débute Fuck you, un percutant texte de Steve Gagnon qu’on a découvert dans le spectacle Attentat au Théâtre de Quat’sous ce mois-ci. Porté par une indignation sincère et par une verve puissante, ce texte s’inquiète d’un Québec à la dérive. En ce 31 décembre 2014, à l’aube d’une nouvelle année que nous espérons plus lumineuse, nous vous offrons l’intégralité du texte de Steve Gagnon.

Comédien et auteur dramatique connu pour ses histoires d’amour débordant, comme La montagne rouge (SANG), ou pour ses récits familiaux aux personnages démesurés, comme En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pasSteve Gagnon est aussi applaudi pour sa plume imagée, rythmée et par moments brutale.

Toute son oeuvre est aussi tissée d’une tension aiguë avec le monde sociopolitique et la société de consommation, souvent perçus comme menaçants et vertigineux.

Dans Fuck you, réagissant à une (ou des) année(s) de déconvenues sociales, il fait de sa plume un outil de libération et de colère.

Un texte marquant du spectacle Attentat, des soeurs Véronique et Gabrielle Côté, qui aura une résonance toute particulière en cette fin d’année.

 

FUCK YOU

Ok.

J’vas l’faire.

J’vais envoyer chier des gens.

Je dis fuck you à tous ceux qui trouvent la vie tellement simple, qui se contentent de peu, je dis fuck you à ceux qui se cassent jamais la tête, qui se posent jamais de question, je dis fuck you à tous ceux qui oublient que des montagnes de gens meurent pour plein de très mauvaises raisons, je dis fuck you à ceux qui ne se sentent pas concernés, jamais, à tous ceux qui ne crient jamais avec les autres, je dis prenez-en un peu sur vos épaules vous aussi, soyez parfois enragés et insatisfaits vous aussi. Je dis, je demande Êtes-vous certains de savoir comment la vie est large, comment la vie est infinie, comment la vie est remplie de possibilités, que ça n’arrête jamais d’être possible, qu’il y a toujours quelque chose de bouleversant partout? Je dis fuck you solide à tous ceux qui se résignent, se détachent, se désintéressent. Rien n’a lieu dans nos maisons de clabord, rien n’a lieu au milieu de nos clôtures frost.

La mer,

les pyramides,

les parcs aquatiques,

les champs de fleurs immenses,

les arbres qui font pousser les oranges, les mangues, les citrons,

les marchés sur l’eau,

les montagnes de la Chine,

le Rocher Percé,

le Fjord du Saguenay,

les maisons bleues et blanches de Santorini,

les oiseaux bouleversants de l’Amérique du Sud,

la laiterie de Coatikook,

les pommiers de l’île d’Orléans,

les platanes,

les shacks à patates de Charlevoix,

le grand nord,

les calanques,

les grands ballets russes,

les tableaux de Modigliani,

les glaciers,

les volcans,

les jardins du Luxembourg,

rien de tout ça n’a lieu dans nos salons.

Je dis fuck you à ceux qui ne croient pas à l’amour et qui le clament tout haut,  comme fièrement.

Je dis vous ne connaissez rien, vous n’avez rien lu, rien appris ou alors vous êtes de très mauvaise  foi parce que partout, tout nous apprend qu’au bout du compte, c’est toujours l’amour qui sauve tout.

Je dis fuck you à tous ceux qui sont sarcastiques ou cyniques et qui se pensent drôles. Je dis vous n’êtes pas drôles: vous êtes inutiles et malheureux.

Je dis fuck you à tous ceux qui se crissent des Autochtones et ils sont nombreux malheureusement. J’ai honte de vous, honte d’appartenir à une culture qui oublie tout, une culture aussi violente et désengagée envers ses racines,  aussi aveugle et  hypocrite face à  son passé. Je dis fuck you à tous ceux qui ne sont pas complètement désolés de voir comment les liens ont étés trahis et rompus et comment il nous faudra beaucoup de temps et d’amour pour reconstruire tout ça. Je dis c’est terrible ce que nous avons fait, c’est à nous de tout réparer.

Je dis fuck you au Journal de Montréal qui fait, on va se le dire, qui fait pratiquement de la  propagande, du gros nivellement vers le bas en tout cas, qui fait du journalisme comme je fais de la poterie, c’est à dire comme quelqu’un qui n’en fait pas pour vrai.

Je dis fuck you à tous les journaux à potins, je dis double fuck you à ceux qui les achètent, je dis triple fuck you à ceux qui les financent. À ceux qui les écrivent, je dis Sérieux mettons!?

Je dis fuck you Jean Airoldi. Je dis calisse donc la paix au pauvre monde, je dis mon dieu que c’est tellement pas pertinent ce que tu fais. Je dis brûle ton linge qui fait semblant d’avoir de la classe, va faire une cure de yoga, concentre-toi sur quelque chose de plus utile.

Je dis Fuck you Eric Duhaime, je dis fuck you Richard Martineau et toute votre gang de faux intellectuels, d’intellectuels bâtards, d’intellectuels a 2$. Je dis je ne vous aime pas, je dis vous êtes dangereux pour mon peuple parce que vite de même on pourrait croire que vous êtes intelligents, que vous savez ce que vous dites mais vous êtes des imbéciles insupportables.

Je dis fuck you Blaise Renaud. Tu es un imposteur, tu n’aimes pas les livres, tu n’as aucune considération véritable pour la culture, pour notre culture, honte à toi, mille fois honte à toi. Que tes boutiques de cadeaux pis de bebelles cheap déguisées en librairies ferment leurs portes, je souhaite que ta business minable et flétrie s’effondre, ton malheur sera pour moi un feu de joie légitime.

Je dis fuck you Hubert Lacroix, petite marionnette traître. Moi je dis, tant pis pour toi parce que dans toutes ces histoires où des gens ont vendu leur âme au diable, ils ont toujours fini très malheureux.

Je dis fuck you Philippe Couillard. J’ai toujours trouvé que t’avais aucun charisme, je ne t’ai jamais donné le droit d’exister dans ma vie. Je dis fuck you à toute ton équipe de ministres fades et austères comme des bonnes sœurs, vous êtes tristes, vous avez tellement peu d’espoir. Je dis, je vous hais, je dis, je ne vous crois pas, je ne vous entends plus, je dis, vous ne m’aurez pas, je ne serai pas médiocre, je ne serai pas raisonnable. Je dis, ben oui, je dis allez vous faire foutre, mes tabarnack, mes enfants connaitront la beauté, je vous le jure, vous ne gâcherez pas tout, mes enfants connaîtront la beauté. Torchez-vous avec vos projets destructeurs, vos projets réducteurs, vos projets arriérés qui ne sont pas dignes de nos ambitions et de notre fierté.

Je  dis fuck you pour tout ce qui ne brille pas dans nos vies et qui devrait briller.

Je dis fuck you pour tout ce que nous pourrions faire trembler en nous et autour de nous, que nous ne faisons pas trembler.

Et même si nous habitons sur des terres mille fois volées, mille fois calcinées, mille fois négligées, il y aura une fin aux feux de forêt et j’appelle à ce que nous poussions encore plus nombreux et plus forts sur notre territoire, comme les bleuets, comme les épinettes.

Steve Gagnon