Boucherie du marché : Le boucher du marché
Après être passée sous les flammes en 2013, la Boucherie du marché renaît de ses cendres. Portrait d’un survivant.
Fils de boucher, on pourrait dire que Patrick Loyau, propriétaire de cette boucherie du marché Jean-Talon, est tombé dans la marmite. Mais le métier ne l’a jamais tenté et c’est un peu par hasard qu’il achète le local de la rue Mozart en 1994, à 24 ans. «La boucherie de l’époque avait fait faillite et avait été mise aux enchères. C’était une occasion à saisir et mon père m’a encouragé à l’acheter, quitte à la revendre aussitôt», se rappelle-t-il. «Finalement, je suis tombé amoureux et je l’ai gardée! Quand j’ai ouvert, je n’étais pas encore boucher. Ce sont mes employés qui m’ont tout appris. Encore aujourd’hui, je ne serais rien sans eux. Ils sont les piliers de mon magasin.»
Durant près de 20 ans, la petite boucherie au charme un peu brouillon connaît des jours heureux – les fidèles clients n’hésitant pas à se faufiler entre ses allées entassées en échange de ses produits de qualité (telle sa fameuse bavette marinée) et du sympathique service de son personnel – jusqu’à ce qu’un incendie, déclenché par un problème électrique au sous-sol, vienne tout ravager la nuit du 11 février 2013. S’ensuivra alors une bataille municipale cauchemardesque de près d’un an.
«Durant l’incendie, je pleurais moins pour le feu en tant que tel que pour le processus de réouverture qui, je le savais, allait s’avérer extrêmement long et compliqué», raconte Loyau. «J’avais déjà voulu faire des rénovations à l’arrière du local, qui donne sur la rue Mozart, et tous mes projets avaient été refusés. On ne reconnaissait pas que j’avais des droits acquis sur ce côté, et après l’incendie, la Ville n’a pas voulu me les redonner. Mon magasin aurait donc été la moitié de ce qu’il était et je n’aurais pas pu rouvrir.» Un sort aberrant pour une institution commerciale du quartier et pour un homme si investi dans la communauté, n’hésitant jamais à agir à titre de commanditaire ou de traiteur lorsque sollicité… Sans parler de l’incidence de son absence sur le marché même, rajoute-t-il: «Un marché, c’est un ensemble. Les commerçants y sont complémentaires. Mes voisins immédiats ont souffert de ma fermeture, le coin était plus tranquille. J’ai arrêté d’aller au marché, je ne savais plus quoi dire aux gens qui venaient prendre de mes nouvelles…»
Ne reculant pas devant les bâtons explicitement mis dans ses roues, Loyau décide de prendre les choses en mains et entame les procédures de contestation. «J’ai trouvé les documents prouvant que le magasin existait bien avant que le zonage de la rue Mozart soit changé en 1970. L’arrière du local était déjà commercial, je suis le quatrième ou le cinquième propriétaire de cette boucherie. Ça a pris 11 mois avant qu’on me dise que j’avais raison», condamne-t-il, assombri.
Retour en grand
Une fois ses droits finalement reconnus, Loyau ne s’est pas contenté de reproduire la même boutique qu’avant. Porté par une ambition renouvelée, il est reparti on ne peut plus à neuf, rénovant entièrement le bâtiment, en faisant une version nouvelle et améliorée de la boucherie d’antan. Une transformation totale observée dans l’acquisition de matériel à la fine pointe de la technologie, le décor au design industriel avec de grands tableaux d’ardoise, la nouvelle image de marque introduisant un logo, sans oublier l’invitante musique résonnant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du magasin.
Tout cela aurait-il donc été un mal pour un bien, comme le diraient certains, un cadeau mal emballé? Car de boucherie de quartier, l’entreprise semble bien déterminée à devenir une référence dans le domaine, son achalandage étant encore plus grand depuis sa réouverture, même une fois l’effet de nouveauté dissipé.
«J’ai les meilleurs clients au monde, ils sont tous revenus. Dès la première journée, c’était la folie!», se remémore Loyau en souriant. «On a beaucoup de chance d’avoir un marché de la sorte à Montréal. Des files d’autobus de touristes viennent le visiter les dimanches, c’est l’une des grandes attractions. Je trouve malheureux qu’il n’y ait pas plus d’investissements de la part de la Ville et qu’elle m’ait donné tant de peine lors de ma fermeture… Le marché Jean-Talon est certainement un fleuron d’ici, mais un fleuron négligé.»
En mémoire de cette nuit de janvier 2013, Patrick Loyau arbore désormais sur son bras gauche un tatouage où on peut lire «Born again. Never again». Inscriptions résumant adroitement cette histoire de résilience; l’histoire d’un homme qui s’est relevé, s’est retroussé les manches et s’est battu contre l’absurdité des rouages bureaucratiques. Tout cela, pour l’amour du métier.
Boucherie du marché: 224, place du Marché-du-Nord (marché Jean-Talon) Montréal, 514 439-4660