Nommer le terroir
Le débat autour du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada a notamment mis en lumière la notion d’appellations et ses enjeux. Le Québec en est pour sa part au tout début d’un processus de reconnaissance de son patrimoine agroalimentaire… Et si nommer le terroir permettait aussi de le protéger?
«Je suis pour que les gens revendiquent leur territoire et que la question des appellations devienne aussi un débat canadien, que l’on puisse déposer selon des règles définies des appellations internes au Canada et qui seront ensuite reconnues au niveau international.» Ainsi parlait José Bové, lors d’une entrevue qu’il nous avait accordée en octobre dernier. Mais un produit du terroir, c’est quoi d’abord? Pour en faire une définition courte, il s’agit d’un produit fait dans un espace géographique défini, où des facteurs humains et naturels lui confèrent des caractéristiques que l’on ne retrouve pas ailleurs. Et pour le député européen et militant écologiste, le terroir protégé par des appellations d’origine contrôlée constitue une propriété intellectuelle, et ne peut donc être impunément copié ailleurs.
Les premières appellations d’origine ont été inventées en France et votées au parlement en 1925 – il s’agissait du champagne et du roquefort. L’appellation nécessite un territoire précisément défini, un mode de fabrication spécifique et le cas échéant une race d’animal ou une variété de plante. «C’est devenu européen dans les années 1990. Ç’a renforcé le pouvoir du producteur dans l’ensemble du cahier des charges, lui donnant un rôle aussi important que le transformateur, et la garantie pour le consommateur en a aussi été renforcée», indique José Bové. La garantie, c’est notamment celle d’un produit spécifique et sans imitation. On retrouve en effet de ce côté-ci de l’Atlantique beaucoup de produits copiés, auxquels on accole un nom régional d’ici pour l’aspect marketing. Mais un produit peut goûter différemment selon son endroit de production… «Au lieu de copier, on peut aussi inventer des produits locaux et leur donner un nom. On sera très contents en Europe de manger du fromage de chèvre typique du Québec par exemple, protégé par une appellation! Et il ne viendra pas en concurrence avec le Rocamadour ou autre, car ils ne se ressembleront pas…»
Le Québec en avance?
Le terroir québécois, ce sont les produits de l’érable, des viandes et fromages, des boissons, des fruits et légumes… et une réflexion plutôt récente dans la province. «Le fait de se poser la question de savoir si on a un terroir québécois, c’est qu’on en doute, et c’est dommage», pense Jérôme Ferrer, chef français immigré à Montréal. «C’est quelque chose qui m’agace au Québec, de ne pas s’affirmer plus. La province a un terroir spécifique lié à son climat et d’une grande beauté. On n’a pas à rougir de ses origines! Qui aurait dit il y a quelques années que le Québec mettrait sur la table des produits d’exception comme les vins ou les cidres de glace? Il y a ici une véritable culture culinaire. Et plus que jamais, les gens ont conscience de leur écoresponsabilité en mangeant local.»
Au Canada comme aux États-Unis, ce sont les marques déposées par les entreprises qui dominent encore. Et au Québec? En 2000, le gouvernement provincial reconnaît le mode de production biologique, une première appellation. Six ans plus tard est créé le Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV), qui gère toutes les appellations, qu’elles soient de territoire, de mode de production ou de spécificité. 2006, c’est pas un peu tard pour protéger son terroir? «Nous sommes la seule juridiction de ce type qui existe en Amérique du Nord, je pense donc que nous sommes au contraire en avance», contrecarre Anne-Marie Granger Godbout, la présidente-directrice générale du CARTV. «L’appellation est un outil qui répond à un intérêt collectif, mais qui reste à démystifier pour les entreprises. Et plus le consommateur va comprendre et distinguer les appellations, plus il va être rassuré et va demander à ce qu’elles soient contrôlées par la loi.»
«On étouffe les producteurs»
Sur la liste des appellations québécoises figurent pour le moment trois produits issus de la province avec une indication géographique reconnue: l’agneau de Charlevoix (depuis 2009), le vin de glace du Québec et le cidre de glace du Québec (2014). Et depuis mars dernier, le fromage au lait de vache canadienne est désormais un terme valorisant reconnu. Mais les producteurs ne sont pas encore assez défendus au Québec, selon le chef Ferrer: «Ici, les spiritueux locaux sont difficilement commercialisables à cause du monopole de la SAQ, et les cidres de glace sont copiés en Europe de l’Est. On étouffe les producteurs. Il y a un vrai manque de responsabilité des gouvernements face aux petits producteurs et artisans, qui ne sont ni encadrés ni soutenus. C’est dommage d’avoir un terroir aussi riche et de si belles réalisations locales et de ne pas les protéger! La création n’est pas soutenue et beaucoup de producteurs l’ont difficile…»
De son côté, le CARTV travaille à ce que les appellations réservées québécoises soient reconnues dans tout le Canada. «En 2009, l’appellation bio est arrivée au niveau fédéral, et il est donc permis d’espérer que d’autres appellations remonteront aussi», indique Anne-Marie Granger Godbout. Et en attendant, la liste des appellations spécifiques au Québec devrait continuer de s’agrandir, alors que le CARTV travaille actuellement sur quatre projets. À l’étude notamment, le cheddar de l’île aux Grues, le maïs sucré de Neuville, le vin du Québec et le terme valorisant de fromage fermier… «Il y a beaucoup de choses à changer, de concertations à mettre en place, car on a encore beaucoup de vieilles réglementations, conclut Jérôme Ferrer. Il faudrait une force agricole et gouvernementale qui protège produits et artisans. On pourrait demander l’avis des chefs… Il s’agit de l’agriculture de demain: le gouvernement doit entretenir et soutenir cela.»
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