C’était le 31 mai dernier au Casino de Montréal. Trois finalistes, beaucoup de vins, encore plus de pression. Mylène Poisson (restaurant Maison Boulud), Joris Guttierez-Garcia (Le Filet) et Pier-Alexis Soulière (Manresa) s’affrontaient pour la 13e édition du Meilleur sommelier du Québec. Au programme de la soirée: questionnaires écrits, dégustations, mises en situations, épreuves pratiques chronométrées…
Le titre, décerné tous les trois ans par l’Association canadienne des sommeliers professionnels, le seul reconnu par l’Association de la sommellerie internationale, a par le passé été porté par de grands noms de la sommellerie comme Véronique Rivest, François Chartier ou encore Élyse Lambert. Une précieuse clé qui ouvre de nombreuses portes dans l’univers select du vin.
C’est donc Pier-Alexis Soulière qui a remporté la compétition 2017, à l’issue d’une «course très serrée»: «Ça a été lent à démarrer pour moi, mais j’ai gagné en confiance ensuite. Je restais focusé sur la prochaine étape, la prochaine action, et ça s’est très bien passé. Je n’avais pas de coach attitré pour la préparation, mais j’ai passé le maximum de temps possible à étudier, à voir des approches différentes… L’important, c’est d’avoir le bon état d’esprit et de dealer avec la pression.»
Machine à concours
En matière de pression, Pier-Alexis a l’habitude des compétitions et examens. Il a remporté en 2014 le concours international Jeunes sommeliers au Danemark puis a passé très rapidement les quatre niveaux de la Wine & Spirit Education Trust avant de décrocher en 2016 le très convoité titre de Master Sommelier (MS) – au Québec, seule Élyse Lambert avait auparavant réussi à l’obtenir.
«Le MS, c’était complètement différent de ce concours-là, et c’était donc un autre état d’esprit, nuance Pier-Alexis. Il y a une note et donc un minimum à atteindre sans quoi on ne réussit pas, tandis que le Meilleur sommelier du Québec, c’est une compétition. Le MS, c’est une compétition contre soi-même… Mais mon gros challenge au Meilleur sommelier du Québec, c’était de faire une compétition en français. Ça peut paraître étrange car c’est ma langue maternelle, mais la dernière fois que j’ai dégusté en français c’était en 2010!»
Des titres précédés d’un beau parcours: Pier-Alexis est diplômé en sommellerie de l’École de la Capitale, en analyse sensorielle des vins du monde de l’ITHQ et en sommellerie-conseil de l’Université du Vin à Suze-la-Rousse (France). Après avoir travaillé au restaurant montréalais La Chronique, il exerce ses talents dans le groupe de Heston Blumenthal à Londres, puis au Modern à New York et au Merivale à Sydney. Son mentor? Le Portugais Joao Pires, son ancien chef sommelier à Londres.
Pier-Alexis est aujourd’hui sommelier au restaurant Manresa, un triple étoilé Michelin à Los Gatos, près de San Francisco. «La Californie, c’est des vignobles à proximité. Et ce resto, c’est une utopie, c’est le 1% du 1%: ouvert cinq soirs par semaine, toujours complet, le menu dégustation est unique, le chef est un fou furieux… Et je travaille avec Jim Rollston, l’une des personnes les plus calées au monde en vins californiens.» Son collègue est d’ailleurs l’un des trois autres Master Sommelier de 2016.
Retour aux sources
Après ce titre provincial, la prochaine étape sera de se mesurer aux autres champions du pays lors du concours Meilleur sommelier du Canada, qui se tiendra du 3 au 5 septembre prochain à Vancouver. «Quand on gagne le Meilleur sommelier du Québec, ça serait irrespectueux de ne pas se présenter au Meilleur sommelier du Canada. Il faut aussi le faire pour soi, pour ne pas avoir de regrets…»
Pier-Alexis s’est accordé une journée en famille ce jeudi après la compétition, mais a repris un avion à 5h le vendredi matin pour rentrer travailler en Californie et… recommencer à étudier. Un rythme qui limite un peu sa vie privée: «Je pense aussi à bâtir quelque chose sur le plan personnel. Vous pouvez difficilement gagner des concours si vous êtes tiraillé sur le plan privé, et il faut aussi faire des choix en fonction d’un équilibre de vie. Je ne regrette pas mes décisions, bonnes pour moi professionnellement, mais il faut se donner des objectifs.»
Des objectifs qui pourraient comprendre un retour au Québec, avoue le sommelier, même s’il ne veut pas pour autant se fermer de portes. «Au Québec, je n’ai travaillé qu’à La Chronique. Mais je vois que c’est un resto qui dure tout en sachant garder son punch. Les choses changent au Québec, il y a de plus en plus de très bons sommeliers, et une ouverture d’esprit incroyable. Il commence à y avoir une tradition de sommeliers québécois qui cartonnent dans le monde. Je suis très chanceux de faire ce métier aujourd’hui. Revenir au Québec? Oui, c’est une idée avec laquelle je flirte souvent…»