«Le jerky, j’en mange beaucoup. Mais c’est bon, c’est plein de protéines et pas aussi gras qu’on le pense. J’aime le jerky depuis toujours; quand on était enfants, mon père nous en achetait quand on allait aux États-Unis…» Pour Fred Le Tourneux, le jerky, c’est une histoire d’amour. Mais avant de se lancer dans cet inusité business du bœuf séché, il était – et est encore – musicien dans le groupe d’indie-pop Stevenson.
Alors que ses comparses de musique sont en tournée avec leur autre groupe, Fred décide de partir en road-trip aux États-Unis. Fan de la culture cowboy, et un peu original sur les bords, il se déguise en Clint Eastwood et fait la tournée des fabriques de jerkys. «Je voulais essayer ce qui se faisait là-bas, raconte le musicien. Dans le sud-ouest, j’ai goûté à du jerky d’autruche, de lapin, de crocodile, de cerf, de canard… À Albuquerque, j’ai essayé un jerky style papier, tout friable. Mais le goût dépend surtout de l’assaisonnement.»
Il en achète un peu partout sur sa route, essaie et compare. Verdict: la plupart des jerkys se ressemblent, ils sont très salés, plein d’additifs, certains gardant une couleur très rouge de viande fraîche – un peu louche. «Je me disais que ça serait cool de trouver un bar avec du bon jerky sur le menu. De là, je me suis mis à en faire, explique Fred. La première fois, j’ai simplement regardé une recette sur internet. Ma mère capotait car il fallait laisser le four ouvert et c’était la canicule! Ça a duré 12 heures…»
Cola-Poivre et Fumé-Framboise
Au fil du temps, sa recette s’affine, et avec son frère il lance DerfJerky, le «charqui québécois» (jerky vient de «charqui», terme d’origine amérindienne qui signifie «viande séchée»). Leurs exigences: utiliser toujours des ingrédients frais et de nouvelles marinades originales. Fred a fait de nombreuses recherches pour démarquer son produit du jerky classique et le décliner en différentes saveurs. «Pour les marinades, je suis mon instinct, les saveurs que j’aime, ce qui plaît en ce moment, et je jumelle ça avec quelque chose d’inusité.»
On peut ainsi goûter à du bœuf séché Cola Poivre (salé avec une petite pointe de piquant poivré, fraîcheur de poivron rouge et léger sucre vanillé), à Abeille Dijon (miel-moutarde avec herbes et épices, rehaussé de fleurs des champs) ou encore au Fumé Framboise (piment chipotle marié avec le fruité et le vinaigré, bois fumé qui rappelle le barbecue).
C’est aussi un jerky artisanal et naturel. Il n’y a en effet aucun agent de conservation artificiel, puisque le bœuf ne se préserve que grâce à des sels et sucres naturels et à un séchage à chaud – pour tuer toutes bactéries. Et le produit contient deux fois moins de sodium que dans la plupart des jerkys, assure Fred. En plus de s’inscrire dans l’air du temps en étant local, fait main et sans additifs, le produit arrive au bon moment puisque la tendance jerky commence tranquillement au Québec.
«Il y a eu la phase du bacon, puis du porc effiloché… Maintenant c’est le jerky! affirme le musicien. Et les nôtres se distinguent vraiment de ce qui existe actuellement sur le marché; on a en quelque sorte réinventé le produit américain qui me semblait toujours avoir le même goût ferreux, fade et bourré d’agents de conservations et de sel… Et puis on est la seule marque québécoise de jerky fait à la main.»
Accords jerky-bière
Au Canada, Jack Link’s était avant la seule marque de jerky qu’on trouvait. Maintenant que la viande séchée est à la mode, certaines marques américaines telles que Krave ou Lawless Jerky arrivent chez nous – il existe bien une compagnie canadienne, Devour, mais dont le produit est fait aux États-Unis.
«Il y a un vrai potentiel de clientèle, par exemple au niveau des gens qui font de la randonnée», indique Fred. En effet, le jerky est une nourriture de survie par excellence: léger à transporter, plein de protéines et de bonne conservation. «Ça peut aussi se mixer à tout et pimper des recettes: moi j’en mets dans les patates pilées pour mon pâté chinois, dans les dry Martini ou les Caesar…» Le jerky plaît aussi beaucoup aux amateurs de bières. Sur Instagram, DerfJerky propose d’ailleurs des accords bières et jerkys.
En octobre dernier, quand le produit a été officiellement lancé, la petite marque québécoise produisait 15 kilos hebdomadaires de jerky distribués dans un point de vente. L’entreprise se développe en famille, les frères aux fourneaux et à la mise au point des recettes, le père à la photo, au site web et à la comptabilité. Aujourd’hui, Fred travaille plus de 40 heures par semaine sur son bœuf séché – «mais je n’ai pas arrêté la musique pour autant!» -, la compagnie produit 36 à 60 kilos par semaine de jerkys et collabore avec 35 points de vente.
DerfJerky se prépare actuellement à faire découvrir sa viande aux festivaliers d’été: Bouffons Montréal, le Festibière de Laval, le Festival brassicole, l’Oktoberfest de Repentigny… Mais sans cesser de créer pour autant. «On prépare une nouvelle marinade en ce moment. Ça sera un goût un peu indien: noix de coco et cumin…»