À bas les préjugés générationnels: les jeunes peuvent aspirer au succès entrepreneurial et ils sont de plus en plus nombreux à s’imposer. Pour Dominique Miville-Deschênes, copropriétaire de la microbrasserie À l’abordage à Sutton, l’entrepreneuriat est venu tout naturellement. Avec son compagnon Cédrik Dion-Poitras, elle a fondé la microbrasserie en 2015 alors qu’elle n’avait que 22 ans.
Le jeune couple, qui brassait de la bière artisanale depuis quelques années dans un garage des Cantons-de-l’Est, est également passionné de plein air et de ski. S’apercevant que leur région ne disposait d’aucun endroit pour se réunir entre amis et relaxer après le sport, Dominique et Cédrik ont décidé de transformer ce besoin en projet concret, celui de À l’abordage.
En mariant la passion du sport de plein air à celui de brasser de bonnes bières, le couple est entré dans le bassin de Québécois qui ont choisi de se lancer dans l’entrepreneuriat. Ce désir serait d’ailleurs en pleine expansion dans la province, selon un récent rapport du Global Entrepreneurship Monitor. Soutenus par le père de Dominique, qui a aidé à financer le projet et à lui donner une structure solide, les deux passionnés ont fait leurs classes, non sans se buter à certains préjugés:
«Parfois, les jeunes comme nous se font un peu regarder de haut par les gens, qui ont l’air de voir notre désir de se lancer en affaires comme un petit projet temporaire et pas très sérieux. Leur perspective change quand on leur démontre qu’on travaille d’arrache-pied et qu’on a fait nos devoirs en bonne et due forme comme n’importe quel entrepreneur: étude de marché, rédaction d’un plan d’affaires complet, etc. Par la suite, on sent un changement de ton chez les autres générations, qui verront des passionnés qui veulent s’impliquer dans leur communauté et faire rouler l’économie locale.»
De jeune employé à jeune patron
Les réactions partagées quant aux jeunes qui lancent leur entreprise proviennent peut-être de leur côté idéaliste, suggère Dominique: «Les jeunes qui se lancent en affaires ont un côté un peu plus naïf, ils ont des idées de grandeur et des objectifs ambitieux. Sans nécessairement avoir la tête dans les nuages, je crois que nous avons encore cette capacité de rêver. On a de grandes visions, des idéaux très précis et on se laisse guider par ça pour forger notre projet. Nos valeurs transcendent notre façon de faire des affaires. De plus, on a encore en tête ce que c’est que d’être un employé.»
Difficile justement de gérer des employés quand on en était soi-même un jusqu’à tout récemment. «Notre défi principal a été d’apprendre à devenir des patrons. On a commencé à travailler très jeunes, on était donc habitués à être des employés, mais mener la barque, c’est une autre paire de manches! Ce qui est particulièrement difficile au début, c’est les ressources humaines. On a tous une vision différente, des forces et des valeurs distinctes, et c’est de parvenir à s’adapter et de trouver un terrain d’entente harmonieux qui est difficile, surtout quand on est nous-mêmes en processus pour développer notre propre style de gestion.»
Dans le cas de À l’abordage, où la moyenne d’âge des employés est de 24 ans, la personnalité prime sur l’expérience: «Les jeunes entrepreneurs savent ce que c’est que de se lancer dans la vie adulte sans expérience. C’est une réalité qu’on connaît, c’est pourquoi nous sommes plus enclins à engager des gens en fonction de leur personnalité et de leurs valeurs plutôt que leur expérience. On a vingt employés maintenant, et on a appris que c’est plus facile par la suite de leur inculquer un savoir-faire quand on les engage en fonction de leur personnalité.»
Même si les femmes sont encore minoritaires en entrepreneuriat, Dominique est bien loin de s’en laisser imposer: «Je ne laisse même pas le temps aux gens d’avoir des préjugés défavorables à mon endroit, je leur montre d’emblée que je suis une entrepreneure à part entière et que je sais où je m’en vais.»
Se distinguer en tant que jeune microbrasserie
Alors que les microbrasseries sont en pleine expansion partout au Québec (on en dénombre près de 150, dont 11 seulement dans les Cantons-de-l’Est et 2 à Sutton), difficile de tirer son épingle du jeu, surtout quand on en est à ses premières armes dans le monde des affaires.
«C’est vraiment le brasseur qui fait la différence, indique Dominique, c’est lui qui va mettre son style, sa touche, dans chacun de ses brassins. Nous on conçoit des bières plus traditionnelles, de style anglaises ou américaines, ce qui va se différencier de certaines autres microbrasseries plus spécialisées. On va aussi retrouver des brew pubs et des brasseries industrielles, ce qui n’est pas du tout la même proposition, tant au niveau de l’ambiance que du menu.»
La vision de Dominique et de Cédrik s’inspire de certains pubs non loin de Sutton, de l’autre côté des lignes, au Vermont, c’est-à-dire des bières locales, artisanales, à consommer sur place. «Au Vermont, des microbrasseries, il y en a à chaque coin de rue, et on parvient tout de même à trouver un équilibre et varier la proposition.» Si on y arrive dans un petit État comme le Vermont, pourquoi pas en Estrie?
Chose certaine, bien que les deux propriétaires de À l’abordage n’aient pas fini leur apprentissage, ils ont déjà un avantage: celui de la passion, de la vision et du plaisir de brasser de la bière en même temps que les affaires.
À l’abordage
10, rue Principale Sud, Sutton
450 538-8338