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Dead Obies : l’entretien (quasi) complet

Photo: Joseph Elfassi
Photo: Joseph Elfassi

Après l’article, voici l’entretien presque complet. Amusez-vous!

À chaud, et pour briser la glace, une question large: que retenez-vous de l’année? Quels moments forts se distinguent?

SNAIL KID: Après le lancement de l’album, c’est le show des Francos. C’était un gros show pour nous et c’était aussi le début de notre nouvelle formule de spectacle — avec tout le travail sur la mise en scène « entre gros guillemets » pendant nos répèt’ — qu’on a suivi ensuite et modelé ensuite selon les endroits.

YES MCCAN: Le show où j’ai eu le plus de fun, je crois, c’était à L’Autre St-Jean. Ça a été comme une grosse renaissance pour moi par rapport à où j’étais dans ma vie. C’était le début de l’été, c’était la Saint-Jean et notre plus grosse crowd ever — il y avait 15 000 personnes! — et selon ce qu’on m’a dit, on a été le moment où la crowd a vraiment levé. C’était une journée parfaite, c’est un événement hyper bien organisé, il faisait soleil pis c’était bar open avec nos amis backstage. T’sais, si on s’émerveille encore d’arriver quelque part pour avoir de la bouffe, c’est parce qu’on a sauté la barre pour prendre le métro parce que tu n’as pas le cash pour te rendre au show! Alors quand tu te retrouves backstage à te faire servir du homard pis que c’est bar open, c’est bound to be la meilleure journée de ton été!

SNAIL KID: Y’a eu aussi la parution de Collations Vol. 2. Un autre checkpoint pour nous.

 Comme le livre le rappelle: $ud $ale est une œuvre hyper songée. Ça a été quoi votre réaction face à son succès initial? C’était inespéré ou, justement, vous étiez confiants, car c’est un disque dont le moindre détail a été songé chez vous?

YES MCCAN: Beaucoup de travail est allé là-dedans. De plus, ce projet-là fait suite à Collations Vol. 1, un projet dans lequel personne ne se sentait vraiment accompli. C’était une expérimentation enregistrée dans un sous-sol avec pas une cenne! C’était sur un disque dur brisé. On avait donc perdu les sessions d’enregistrement des chansons. Ce qui voulait dire qu’on ne pouvait plus les modifier. On était pris avec des chansons raboutées et on s’est dit whatever! Le succès de ce projet-là est vraiment venu comme une surprise. Je serai toujours reconnaissant envers Alexandre Courteau de Bande à part qui, à l’époque, avait dit de Collations Vol. 1 que c’était un des meilleurs release underground depuis belle lurette au Québec. Une line qu’on a mise dans notre bio dès le début! Ça nous aura quand même appris à faire des chansons, à faire le tour, à nous rendre jusqu’aux Francouvertes, faire des entrevues, etc.

Ensuite, on s’est demandé ce qu’on ferait et ce qu’on dirait si on avait qu’un seul album à faire. Puis on s’est demandé ce qui fait qu’un album devient important dans l’histoire [NDRL: tout comme ?uestLove de The Roots, Yes se passionne pour le journalisme musical, les critiques d’albums phares comme Highway 61 de Bob Dylan, par exemple]. Il faut que ça soit de son temps, que ça «capture» sa génération, etc. On prenait des notes, des thèmes qui nous ralliaient tous, on explorait des façons de travailler, etc., mais nous ne sommes pas surpris, parce que nous sommes de jeunes cons! À l’époque, on trainait beaucoup avec Alaclair Ensemble — qui sont très DIY — et Bonsound nous a dit qu’ils seraient intéressés à faire un album avec nous. On leur a répondu — en août — qu’on voulait sortir un album en automne alors qu’on avait que six tounes d’écrites et rien d’enregistré! Ils nous ont demandé pourquoi on voulait le sortir en automne et non pas, genre, en février. On leur a dit qu’on voulait faire le Jaune du hip-hop de notre génération!

SNAIL KID: «Pis ça va être un album double, tu vas voir!», de vrais kids, t’sais!

YES MCCAN: On se disait que si ce n’est pas un «classique», le monde est passé à côté d’quoi! On a toujours fonctionné comme ça: en ne réalisant jamais à quel point c’est big ce qu’on exige et en se cassant la gueule à mi-chemin. C’est ce qui fait que le travail est bon. Ce n’est pas un chef-d’œuvre, mais c’est ce qu’on aim. C’est très «soyons réalistes, exigeons l’impossible!» Bref, on est contents, mais on ne va pas s’arrêter là.

L’album s’est retrouvé sur la longue liste du prix Polaris. Ça a eu un impact chez vous? Ça peut être en ventes, en «buzz» médiatique, voire en confiance, en sachant que l’album débordait vraiment du Québec?

SNAIL KID: C’est une mention super cool, mais si ça a eu un buzz ou un effet sur les ventes, je ne l’ai pas senti dans mon porte-feuille! Peut-être que ça a aidé, mais pas assez pour qu’on le voit clairement sur un graphique, genre. Personnellement, je connaissais le prix, mais je ne savais pas trop en quoi ça consistait. Puis j’ai vu les autres nommés. T’sais, c’est malade d’être sur la même liste que Drake!

Un peu plus d’un an après la parution de ce fameux disque, c’est quoi votre relation avec celui-ci? Vous entendez ce que vous auriez aimé faire autrement avec plus de temps ou, comme les fans et la critique, vous en demeurez hyper satisfaits?

YES MCCAN: C’est divisé. Moi je suis du genre à ne pas vouloir être d’un club qui me veut comme membre. Quand je réécoute ce que j’ai fait, j’entends surtout les défauts et ça m’agace! [NDLR: il laisse entendre par la suite qu’il est hyper exigeant, surtout envers lui-même]. J’imagine que ça va changer en me «professionnalisant»!

SNAIL KID: J’ai aussi ce feeling, mais je me surprends aussi à changer d’avis. Des fois, je vais juste entendre les défauts et me dire «Oh my God! Si seulement c’était à refaire avec les moyens et les connaissances que j’ai là!» Puis, d’autres fois, je trouve que ces défauts embrassent bien comment je me sentais à ce moment-là. Ils donnent de l’âme [au disque]. C’est les moyens et l’expérience que je n’avais pas à l’époque qui font que ça sonne comme ça. T’sais, ça reflète bien ce «moment», ce «premier album».

Est-ce que le succès critique et populaire de ce disque ajoute un certain stress à l’idée de livrer une suite digne de ce nom?

YES MCCAN: Pour moi, c’est symptomatique. Ça fait qu’on a hâte de retourner en studio pour appliquer l’expérience qu’on a prise en faisant cet album, en étant sur un label, à faire de la tournée, etc. T’sais, avant, je passais mes fins de semaine à laver de la vaisselle dans un bar, pas à faire porter ma voix sur un stage! On s’est aguerri. Nous sommes devenus de meilleurs musiciens. L’album en tant que polaroid d’une époque, ça te «fige» dans le temps aussi. Les gens vont «regarder» ce polaroid pendant que toi, tu changes énormément et ça a été une année d’expérience en concentré! Moi, je ne suis même pas nerveux. J’ai juste hâte! Je suis content qu’il ait eu ce succès critique là, mais nous sommes quand même 100 fois meilleurs et professionnels depuis. Pour moi, tous les ingrédients pour faire un album encore plus satisfaisant sont là.

SNAIL KID: Je suis content de t’entendre dire ça, parce que moi je capote!

[NDLR: Yes Mccan note ensuite qu’ils n’ont jamais eu de studio. Là, ils rénovent un local pour eux. Auparavant, ils partageaient un local avec le K6A trois jours par semaine et où VNCE doit amener son ordinateur à chaque répétition. Ils n’avaient pas l’espace pour pouvoir créer en continu; ce qu’ils vont se donner avec le prochain espace. En janvier, ils vont plancher sur un nouvel album.]

SNAIL KID: C’est capoté quand même. Un soir, tu vas à l’ADISQ, puis le lendemain, tu n’as toujours pas d’espace pour créer à ta guise ou encore le temps pour te consacrer, clairement, à ce que tu fais le mieux. Je ne pensais pas que c’était comme ça.

YES MCCAN: C’est vrai quand même. On ne pense pas qu’un artiste qui est nommé — donc qui est parmi les «meilleurs» dans son domaine — n’a toujours pas un accès pour faire de la musique comme il le veut. En tant que fan de musique, je ne m’imaginais pas cette réalité-là!

SNAIL KID: 3 décembre 2015. C’est un double LP!

YES MCCAN: Non, non. Celui-là n’a pas encore de date.

C’est vraiment un double LP?

SNAIL KID: Non, non! en fait, on est en constant questionnement pour celui-là. On rentre dedans actuellement. Ça pourrait prendre un an comme ça pourrait en prendre deux.

YES MCCAN: Si on s’enligne vers ce qu’on veut faire en ce moment, ça risque d’être un long processus de création, mais on va quand même lancer des mixtapes entretemps. On ne s’éloigne jamais trop longtemps.

SNAIL KID: On garde toujours des chansons in the box

YES MCCAN:… qui pourraient être garrochées gratuitement sur Internet en attendant un vrai opus faisant suite à Montréal $ud….

Parlons de la polémique. Sans trop s’éterniser, pourquoi avoir attendu pour répondre? Ça faisait l’affaire de tout le monde ou certains voulaient répondre avant, voire jamais?

YES MCCAN: Il y a eu quelques glissements. À un moment donné, l’émotion l’emporte et des membres heurtés répondaient à des commentaires sur notre page Facebook. Fallait qu’on s’appelle pour se dire «Hey! Efface ça! Ce n’est pas pro!» T’sais, on apprend de voir aller les politiciens : ils ne répondent pas aux questions, ils font passer leur message! On jouait donc le bon jeu jusqu’à ce qu’on n’ait plus le choix.

Moi, ça ne me dérangeait pas que ces gens critiquent ou interprètent mal nos propos parce que je n’arriverai jamais à changer l’opinion de ces gens-là et les gens qui les suivent comme des moutons. Les débats du genre ne changent jamais rien. Ils ne font qu’épuiser. Ça a changé quand des gens ont commencé à prendre parti pour nous et à nous défendre en nous prêtant des arguments qui n’étaient pas les bons, là je me disais «Là on va nous associer à des choses qui ne sont pas vraies». J’ai entendu à la télé quelqu’un qui disait : «C’est simple! Ils font ça pour pogner aux States et je les encourage!» Non, non, non! Ce n’est vraiment pas ça!

SNAIL KID: Moi j’ai vu quelqu’un intervenir sur plusieurs forums qui disaient des affaires comme «Moi je suis vraiment down avec leur affaire parce que, à un moment donné, tout le monde va parler franglais et tout le monde va s’entendre!» Comme si on voulait créer une nouvelle langue!

YES MCCAN: Ça, c’est plus dangereux que les critiques! Ça, ça déforme carrément nos propos. Là, il fallait mettre les points sur les «i» alors qu’on était dans un été particulièrement occupé. On me «rushait» pour que je compose un texte et je me suis retrouvé devant une page blanche à me demander «Par où je commence?» Je trouvais ça tellement absurde. C’est comme si quelqu’un me demandait de justifier quelque chose qui, pour moi, est naturel. Et dès que tu commences à répliquer, c’est comme si tu te justifiais du même coup, tu te rends coupable alors que le ton monte… C’est pourquoi on a débuté en citant Jay-Z…

LES DEUX: «A wise man told me : Don’t argue with fools / ’cause people from a distance can’t tell who is who!»

YES MCCAN: Tu vois deux personnes qui s’obstinent et tu te dis whatever…

Un passage intéressant de ta lettre: «On parlait de moi, mais on ne s’adressait pas à moi». Que penses-tu, justement, de cette tendance fort populaire en 2014 dans les médias, les réseaux sociaux, etc.: avoir une opinion sur tout, même si l’on ne saisit pas certains volets de ce tout? Est-ce que ça peut avoir ses avantages — comme sensibiliser sommairement les gens à certaines problématiques méconnues — ou, comme tu l’écris, c’est «en gros», s’«écouter se parler»?

SNAIL KID: On ne peut plus y échapper, j’pense. Le monde aime, basically, avoir une opinion sur quelque chose, avoir leur individualité sur l’affaire en question. Avec les réseaux sociaux, t’as une toile avec plein de sujets qui «poppent» et t’as envie d’avoir une opinion sur ceux-ci, même si tu n’as pas envie de faire tes devoirs; sans t’informer avant de former une opinion claire avant. T’as juste envie d’avoir une opinion que les gens voient ton nom lié à cette opinion.

YES MCCAN: C’est comme pour les matchs de hockey. Un commentateur de 60 ans va critiquer le travail d’un joueur — un des meilleurs athlètes dans sa catégorie! — et le lendemain, le monde à la shop se contente de le répéter; faire leur opinion d’une opinion. Et ça se voit. C’est les gens qui sont les plus choquants et les plus vulgaires qui ont le plus d’abonnés sur les réseaux sociaux et leur format sert bien ça. Tout comme les vidéos les plus populaires sur YouTube sont des vidéos de chatons. Encore une fois, le format leur convient bien: quelque chose de court et qui ne demande pas trop de concentration. C’est aux gens de se responsabiliser.

Là où j’en ai contre, c’est quand qu’un éditorialiste gagne sa vie pour faire peur à des gens qui travaillent au moins 40 heures dans une usine, et qui n’ont donc pas autant de temps qu’eux pour s’informer, qui comptent sur eux pour les éclairer et qui se font balancer des extrapolations et des idées paranoïaques voulant que le français sera exterminé par des groupes comme les Dead Obies! T’sais, il y a des gens pour qui leur seule information sur le statut du français au Québec provient de ces gens-là. Hier, ils se couchaient avec l’idée que le français au Québec se portait quand même bien. Le lendemain? Ils apprennent qu’on va l’exterminer! Je déplore ça.

SNAIL KID: Y’a quelque chose qui ne marche pas là-dedans: vouloir se prononcer parce que le sujet est chaud maintenant, mais sans prendre le temps de faire la recherche là-dessus; c’est un engrenage où l’éditorial informe tout le monde sur un sujet sans être un spécialiste sur celui-ci.

YES MCCAN: Que tout le monde ait son petit blogue et sa petite opinion, ça va. C’est comme la pub. On a un «système de défense» face à ça, mais des agissements du genre de professionnels de l’opinion qui connaissent fuck all, c’est dommage et ça m’écœure. On l’a vu pendant la grève étudiante. Pendant deux, trois semaines, l’affaire de la sangria et du iPhone sur une terrasse était vraiment considérée comme un argument contre la grève par certains! Ces gens-là ont une énorme responsabilité auprès de millions de personnes, pis ils se contentent de chier dans leur journal!

Tout ça, ça a été un gros moteur menant aussi à notre prise de parole. On voulait régler nos comptes une bonne fois pour toutes pis je pense que ça a clos le débat.

Comme tu le dis dans la lettre, le fameux «franglais» est présent depuis longtemps. Dans le hip-hop québécois et ailleurs. Pourquoi ça a «pété» cette année? Puis, pendant qu’on y est, pourquoi vous?

SNAIL KID: Je crois que Les Francouvertes y ont joué un rôle. Ça a été un gros kickstarter pour nous; autant comme groupe que pour l’exposure. Puis, t’sais, c’est un gros concours axé sur la francophonie et le nom du groupe est: Dead Obies! Déjà là, ça se tramait.

On en parlait avant, aussi, avec SP et Muzion, par exemple, mais ils étaient davantage vus comme des marginaux, des bébittes par les médias de l’époque. C’était «excusé».

YES MCCAN: Ce n’était pas le même exposure que nous. On ne les a pas invités à 125 Marie-Anne, par exemple. Le phénomène n’avait pas encore rejoint le mainstream. Ils n’ont pas eu droit à des éditoriaux, parce que leur exposure était relative à leur auditoire… qui, lui, avait les référents pour comprendre leur œuvre. Nous sommes devenus l’éléphant dans la pièce par la rencontre d’un phénomène alternatif avec la masse populaire. C’est un peu lorsqu’on invitait Bérurier Noir sur les plateaux de talk-shows français. Le public se demandait «Mais qu’est-ce qui se passe?» Les gens qui prennent position maintenant ne savaient tout simplement pas que ça existait avant. Sinon, ça aurait déjà choqué leurs valeurs. Dramatik de Muzion en a d’ailleurs parlé cet été en entrevue avec BRBR et a dit — peut-être avec une pointe d’ironie ou d’amertume — que les Dead Obies étaient un peu comme Elvis et Eminem: plus accessibles, même si Muzion et compagnie étaient très pros et ont amené leur forme d’art ailleurs.

Arrêtez-moi si je divague, mais je vois dans ce «conflit» une espèce de répétition de la «controverse» autour de l’avènement du «joual» dans l’art via l’Osstidcho de Charlebois et compagnie ainsi que dans l’œuvre de Michel Tremblay. Qu’en pensez-vous? Sommes-nous pris dans une loop?

YES MCCAN: Ça pourrait être une loop. Je peux comprendre qu’on nous critique, mais quand j’entends des critiques de Mommy de Xavier Dolan […] c’est rare que ça me fasse ça, mais il est tellement habile dans ses dialogues. Ils sont tellement riches, tellement fidèles, puis lire des critiques de gens là-dessus. Faut vraiment mal connaître son cinéma pour s’en prendre à ça! Ça m’a fait capoter! C’est une loop et c’est aussi une loop qui est vicieuse: on essaie toujours de justifier par rétroaction. Défendre Dead Obies en disant que Michel Tremblay a lui aussi joué avec sa langue, lui qui a été défendu parce que Claude Gauvreau l’a aussi fait…

Ça en prend du monde qui casse tout! À un moment donné, il y a des règles et des façons de faire qui deviennent archaïques parce que le monde change et si on justifie toujours à rebours, on va en venir à manquer quelqu’un qui propose quelque chose de totalement nouveau, parce qu’on ne trouvera personne pour le justifier.

Puis? L’aftermath? Qu’avez-vous retiré de cette réponse?

YES MCCAN: Le monde aborde le truc à reculons ou en nous faisant des clins d’œil. À la «Je sais que c’est du passé» ou en soulignant que c’est une fausse polémique, etc. On dirait bien que c’est clos une fois que tout le monde a été échaudé pendant un bout.

À l’époque, j’en parlais avec une amie et elle m’a dit: «Ce que je trouve cave de ces éditoriaux, c’est qu’on vous attaque en partant de vos responsabilités créatrices comme si vous créiez de l’extérieur, en réaction au pays. Elle m’a suggéré de partir d’où on crée, de partir du personnel. C’est ce qui a fait que je me sentais très vulnérable là-dedans. Puis on l’a lancé et cette lettre-là a été plus vue et partagée que tous nos albums mis ensemble! Ça a dû être un des articles les plus vus du Voir cette année, non?

Vite comme ça, je ne pourrais pas te donner son classement, mais oui. [NDLR: C’est au 19e rang, finalement.]

YES MCCAN: Yo, j’ai écrit un des articles les plus populaires du Voir cette année. Y’est où mon chèque? Peux-tu demander à ton éditeur il est où mon chèque?

C’est maintenant sur l’enregistreuse. Je suis obligé de lui passer le message!

Maintenant, parlons du livre…

YES MCCAN: Moi j’étais angoissé à un moment donné en l’écrivant, mais j’en suis très content.

Ah oui?

YES MCCAN: Je me demandais comment ça serait reçu. Est-ce que ça allait être reçu comme 1, prétentieux ou 2, pas assez… académique? En même temps, on voulait que ça soit un peu jokey. Pas trop… sec.

SNAIL KID: Le format n’était pas clair au début, même pendant l’écriture…

C’était quoi l’«objectif» du livre? Démystifier votre univers/celui du rap auprès d’un public plus large?

SNAIL KID: Donner des outils pour le rap. Principalement, ce qu’on fait, nous, est hyper codé et sans les outils pour le décoder, c’est comme n’importe quoi. C’est comme aller voir un spectacle d’opéra sans y être initié. C’est un monde au «langage» hyper codé et où il faut connaître les «lettres» utilisées, savoir comment s’articulent les conventions, pour bien apprécier le spectacle, son meaning, etc. Sinon, on se contente de trouver ça «beau»!  C’est aussi un espèce de cours abrégé pour comprendre l’univers Dead Obies, le décoder et comprendre un peu mieux ce qu’il y a derrière.

YES MCCAN: On ne voudrait pas que les gens passent à côté de tout le travail qui s’est fait autour. Sans le succès critique, on se serait dit whatever et c’est tout, mais on a senti que les gens ont beaucoup apprécié l’album… et qu’ils sont également passés à côté de certains trucs. T’sais, nous encenser en disant que le propos prime sur la langue? Comme si on disait un peu n’importe quoi.

SNAIL KID: Il y a du monde qui nous «défendait» comme ça!

YES MCCAN: T’sais, on prépare un album double depuis un an et demi et pour lequel il nous est arrivé de nous engueuler dans notre local en se disant «Non! Ce texte-là, retourne l’écrire!» T’sais, il y a un gros travail d’assonances, d’allitérations là-dedans. Alors, se faire dire qu’au final, ça ne veut pas dire grand-chose!?

SNAIL KID: C’est l’autre truc de la polémique, ça: on parlait de la langue sans parler du propos et de ce qu’on faisait des mots et des codes. T’sais, me dire qu’un album est en franglais, ça veut dire fuck all! C’est comme parler d’un album de musique francophone. Ça ne veut rien dire. Ce n’est pas un genre. C’est une langue!

YES MCCAN: C’est comme dire que t’es un fan de peintures bleues, quand il y a du bleu sur la toile!

SNAIL KID: Et on nous dit qu’on parle le franglais, que c’est un album en franglais. Nous, on ne s’est jamais dit ça! Personne ne parle du propos parce que, I guess, on ne le comprend pas. On se contente donc de remarquer que c’est du français et de l’anglais ensemble.

YES MCCAN: Et ce n’est pas un problème. On parle de la masse et des médias, mais c’est des commentaires qu’on retrouve également à la suite de nos clips sur YouTube. Des gens qui nous disent «Ouache! C’est n’importe quoi! Ça ne veut rien dire! C’est juste du swag pour faire comme les Américains», etc. Des gens de notre âge et qui peuvent écouter du hip-hop, mais peut-être plus gras, plus premier degré, qui veulent entendre «le gouvernement nous a menti!» avant de croire que t’as un propos social.

Alors que peut-être qu’en surlignant des extraits de textes puis en traçant une flèche vers une mention «métaphore pour dire que…»

On avait peur que ça sonne prétentieux, mais moi j’avais adoré l’exercice avec Decoded de Jay-Z. Nous sommes de gros fans de Jay-Z et ça nous a quand même offert une nouvelle lecture de son œuvre. Il y a aussi le nouveau phénomène de sites à la Rap Genius, mais — encore là — ce qui a été annoté à nos textes par les gens n’est pas très glorieux! L’effort est louable, mais c’est tout croche!

SNAIL KID: Des fois, c’est surprenant! C’est parfois «Oh my God! He got THAT right, mais pas le reste!»

YES MCCAN: Alors tant qu’à avoir des compréhensions toutes croches de nos tounes sur Internet qui ne nous rapportent pas une cenne, autant vendre un livre!

Avez-vous fait des découvertes en explorant ces «racines» — ex: selon le lexique, «brag» tient ses racines d’un classique de la poésie! —, voire en intellectualisant votre processus créatif ou c’était déjà pas mal maîtrisé en plus d’être instinctif?

SNAIL KID: Tellement! Nous sommes très différents dans notre façon d’intellectualiser notre façon de créer. Certains sont très spontanés dans leur écriture, ils feelent la composition de leurs textes, mais de là prêt à nous en parler après? Souvent, ils n’auront pas pris le temps de penser à comment ils ont construit leurs compositions pour les amener d’un point à l’autre. C’est donc plus au feeling et décoder leur permet de refaire le même voyage sur un buzz créatif, le moment où le beat t’as inspiré et ce qu’il t’a inspiré, etc.

YES MCCAN: Chacun devait soumettre ses propres annotations et explications et certains me revenaient en disant qu’ils avaient trouvé qu’un truc à expliquer sur une telle chanson. C’est en repassant sur la pièce avec eux qu’on en remarque davantage. «As-tu remarqué que ça et ça, c’est un double jeu?» C’est l’équivalent d’un musicien qui étudie son œuvre sans connaître le solfège. Il ne sait pas ce qu’il a fait. Il a fait ses accords-là et ça a donné Smells Like Teen Spirit. Il ne s’est pas dit « j’ai joué ça avec des accords plaqués power chord parce que ma génération est simple et c’est du grunge ou whatever ». C’est en l’analysant après que tu constates que c’est bel et bien du minimalisme, que le ton est hargneux, etc. Dans l’exercice, j’ai également découvert des parts que je ne connaissais pas. Des trucs qui te font réaliser que ça fait plus d’un an que tu fais les backs d’un gars sans savoir ce qu’il disait!

En marge, le livre humanise également les Obies. On en apprend sur la relation entre Snail Kid et sa mère. On apprend que Yes est un fan de Kurt Vonnegut ainsi qu’un nostalgique des belles années de Steven Seagal. Des choses qu’on n’apprendra pas nécessairement dans vos commentaires entre deux chansons sur scène ni en entrevues. C’était voulu? C’est arrivé comme ça?

YES MCCAN: Je pense que c’est une propriété émergente du livre. On n’y a pas pensé.

SNAIL KID: Ça s’inscrit dans cette volonté d’introduire le monde dans notre petit univers. D’où les photos de notre ancien hood, etc.

C’est quoi le making of? Comment avez-vous procédé pour décortiquer chaque strophe? Œuvre collective? Un membre était en charge de réunir tout ça des autres? Aide extérieure?

SNAIL KID: Chacun a fait ses annotations, mais ça a été une énorme charge de travail pour J-F. T’sais, tu ne peux pas écrire un livre à six personnes! Il fallait donner la charge à quelqu’un et Jean-François avait la plume pour le faire.

YES MCCAN: Mais je ne voulais pas mettre mon nom de l’avant. C’est pour ça que tout est signé Dead Obies. Ça m’angoissait trop. On dirait que c’est après avoir écrit les textes de présentation de Trafic et Do Or Die que je me suis «rappelé» comment écrire! C’était vers la fin de l’été. J’ai demandé une avance au label pour l’écrire. Je l’ai toute passée en avril dernier sur des déménagements parce que je me séparais et whatever. Au mois d’août, je n’avais plus une hostie de cenne et j’avais un mois et quart pour écrire un livre! Il fallait que je commence quelque part et je crois que je n’étais pas aussi bon au début qu’à la fin du livre. J’ai comme l’impression que les textes de présentation des chansons flowent mieux ou sont plus intéressants plus le livre avance. Je voulais plus que ça soit un truc fait par le groupe, un objet à feuilleter, qu’un livre écrit par moi.

En lisant le livre, on se rend compte à quel point vous glissez non seulement des références…

  • propres au genre (le vocabulaire, les clins d’œil à Biggie Smalls, A Tribe Called Quest, etc.),

  • mais aussi à une certaine culture populaire (Kurt Vonnegut, Pharrell, Sodome)

  • et québécoise (René Lussier, Carl «le cat» Charest, Richard Desjardins), etc.

Prend-on le rap trop à la légère au Québec — et là je parle autant du public que des médias, mais aussi de certains de vos collègues qui vont se limiter à la ballade hip-hop sirupeuse à la Sir Pathetik ou au type qui est tellement méta en rappant qu’il rappe et qu’il écrit des strophes et qu’il le best dans la game dès sa première toune — ou ça dépend?

SNAIL KID: Je pense que c’était voulu avec le post-rap: se donner une distance pour faire ce qu’on veut faire. On ne se cache pas qu’à la base, nous sommes des rappeurs, on fait du rap, etc., mais on ne veut pas s’ancrer dans quelque chose qui est étiquetté comme, par exemple, le rap québ’ qui l’a été longtemps avec une certaine façon de le faire. Y’a aussi un statement derrière: step out du purisme rap auquel je n’enlève rien, mais qui n’est pas nécessairement notre vibe. Le post-rap était la seule avenue possible pour nous: faire du rap pour nous. Du rap qui n’est pas nécessairement dans les conventions et qui n’est pas celui que j’écoutais quand j’étais jeune. Mais, oui, je crois que le rap n’est pas assez pris au sérieux en général.

YES MCCAN: Ça va changer. On a la chance d’avoir l’exposure et la plateforme qu’on a. On dit «post-rap», mais je pense qu’on prend le temps d’éduquer et d’amener la forme d’art avec nous. C’est le nouveau rock n’ roll. On le dit sur l’album, Kanye West dit que les rappeurs sont les nouvelles rock stars, etc. J’ose espérer — pour être faussement modeste — que comme on a fait notre éducation en écoutant les tracks de KenLo sur MySpace dans notre sous-sol,  je me dis que Dead Obies va se faire chauffer le cul quand je vois des jeunes au parc Laurier qui rappent autour d’un beat; chose qu’on n’aurait pas vue il y a sept ans, d’ailleurs. On ne sera plus assez hot et des livres comme ça donnent autant des «clues» au public qu’aux rappeurs. Nous, on n’avait pas ça. On tentait d’étudier par nous-mêmes, on tentait d’apprendre en allant sur Internet pour décoder des affaires. Si y’a un truc des Dead Obies dont je suis fier, c’est qu’on a beaucoup parlé du mélange des langues, de la production des Dead Obies — de VNCE, en fait — qu’on fait très, mais on est un peu passé à côté des textes qui sont pourtant hyper chargés. C’est quelque chose que, je crois, qu’on amène à la scène et qui portera ses fruits parce que d’autres vont toujours tenter d’aller plus loin que leurs prédécesseurs et je crois que ça s’en va vers là.

SNAIL KID: D’autres gros concepts, d’autres créations d’univers qui sont propres, etc.

YES MCCAN: Dans quelques années, c’est d’autres kids qui vont dire «Wow. Dead Obies. C’était tellement kétaine!» Les choses vont en cycle. Je sais qu’il y a des gens qui étaient bien avant nous, qui nous checkent aller et qui doivent se dire «C’est cool pour eux autres, mais je faisais cette shit-là il y a longtemps. J’étais bon, mais je n’avais pas la chance d’avoir les mêmes plateformes.» Et je suis certain que je serai dans la même position qu’eux lorsqu’on sera un peu over, lorsqu’on sera dans les Drake québécois, dans les gars qui arrivent à faire un peu d’argent avec ça. T’sais, en ce moment, on ne fait pas vraiment d’argent pis on ne joue pas à CKOI, mais je suis convaincu que, dans dix ans, le numéro 1 à CKOI qui va faire beaucoup d’argent, ça sera un rappeur! Pis moi je vais dire «Moi, dans le temps, je faisais de la tournée dans un U-Haul! C’est à cause de moi pis il ne m’a jamais donné de coup de téléphone! Personne ne va remettre en question ce qu’il fait? » C’est comme ça que ça marche et c’est ben normal!

SNAIL KID: On marche nous-mêmes dans des sentiers qui ont été battus par les gars du K6A, mais aussi Yvon Krevé, Atach Tatuq, on pourrait en nommer beaucoup. T’sais, Muzion, j’écoutais ça quand j’avais 10 ans et, encore aujourd’hui, je peux encore écouter Mentalité Moune Morne d’un bout à l’autre. Les verses sont impeccables. Ça pourrait sortir aujourd’hui pis ça serait encore dope!

YES MCCAN: Tu me disais récemment que tu checkais leurs clips pis même la mode est revenue à cette époque!

On peut commander le livre Montréal $ud en ligne. Détails sur deadobies.com