Bords de scène

Prix de la critique : quelques oubliés

L’Association québécoise des critiques de théâtre (AQCT) dévoilait hier les nominations de son prix de la critique pour la saison 2012-2013. Chaque année, je me livre à l’exercice de choisir mes 5 spectacles préférés dans chaque catégorie, puis j’attends ce dévoilement de nominations pour voir si mes collègues critiques sont ou ne sont pas sur la même longueur d’ondes que moi. La plupart du temps, nos flûtes sont plutôt alignées, et cela rend nos délibérations fort agréables, même si déchirantes: on se retrouve devant le beau problème de trancher devant des choix qui nous paraissent souvent assez équivalents. Or, cette année, si les nominations dans la catégorie Montréal et Hors-Québec correspondent assez bien à mes choix personnels, ce n’est pas le cas dans toutes les catégories. Je n’aurai pas le plaisir de débattre avec les collègues critiques sur un certain nombre de candidatures qui me sont apparues évidentes et qui n’ont pas survécu dans la sélection finale. Pour le plaisir de souligner le travail de certains artistes qui n’ont pas été mis en nomination mais qui me semblaient le mériter, voici mon palmarès personnel, la liste des négligés que j’aurais voulu voir apparaître dans les nominations.

Dans la catégorie «Mise en scène – Montréal» :

Sophie Cadieux et Alexia Bürger pour le déambulatoire Je ne m’appartiens plus

Les réseaux sociaux, la mise en scène de soi et le voyeurisme ambiant furent les thèmes à la mode de la saison dernière. Sophie Cadieux et Alexia Bürger les ont abordés à l’envers en se demandant ce qu’il reste de la notion d’intimité dans un tel contexte, invitant les spectateurs à entrer un par un dans des pièces où se jouaient des drames du quotidien ou des scènes d’intimité, leur proposant de participer à la fabrication de ce théâtre campé entre le voyeurisme et le dévoilement de soi. Dans des décors hyperréalistes, construits avec un grand souci du détail, et au moyen d’un jeu d’acteur sobre, délicat et ouvert à l’improvisation, ce parcours était pour le spectateur une expérience profondément révélatrice. Par un intelligent effet miroir, la pièce invitait à réfléchir à ses propres camouflages et ses propres mises en scène.

Dans la catégorie « Texte original – Montréal » :

Nom de domaine, d’Olivier Choinière

Je n’ai pas été très stimulé par le spectacle qu’a tiré Olivier Choinière de ce texte, qui m’a semblé échouer à en révéler les différentes couches de sens. Mais ce n’est pas une raison d’ignorer la richesse de l’écriture: Choinière est l’un de nos plus grands formalistes et ses textes, comme ce Nom de domaine et comme Félicité, sont décapants dans leur dénonciation des scléroses de notre société comme dans la forme très travaillée, très multiple, dans laquelle elle se déploie. Proposant, à travers l’histoire d’une famille jouant en ligne à un jeu vidéo, une série de parallèles entre le Québec passéiste d’antan et la société prétendument libre d’aujourd’hui, le texte regorge de réseaux de sens et se développe à travers un vertiginux jeu de citations et de références. À relire, assurément.

 

Dans la catégorie « Interprétation masculine – Montréal »

Patrick Hivon dans Ce moment-là

Dans le rôle d’un artiste au lourd passé, replongé dans ses démons pendant le repas que lui prépare sa famille à son retour au bercail (après des années de prison et d’exil), Patrick Hivon était aussi sobre qu’explosif. La force de son jeu réside précisément là, dans ce mélange savant de retenue et de tension: une colère sourde qui ne sombre jamais dans l’excès de pathos mais qui n’en est pas moins puissante, notamment lors de l’affrontement final avec la comédienne Émilie Bibeau, également à son meilleur dans cette pièce mise en scène par Denis Bernard.

Dans la catégorie « Interprétation féminine – Montréal »:

La distribution entière de La fureur de ce que je pense

C’était un spectacle d’une grande précision, d’une grande beauté formelle, qui reposait, malgré le fait que les actrices interprétaient séparément leur partition, sur la synchronicité et la justesse dans l’accord de leurs voix. À travers une énonciation finement travaillée, les voix amplifiées, parfois trafiquées, de Sophie Cadieux, Monia Chokri, Julie Le Breton, Christine Beaulieu, Johanne Haberlin et Évelyne de la Chenelière (accompagnées de la danseuse Anne Thériault) s’arrimaient avec naturel à la musique électroacoustique d’Alexander MacSween. Leurs voix devenant instruments, leurs corps se joignant à la musique, elles ont révélé de nouvelles dimensions de l’écriture de Nelly Arcan, dont l’oeuvre ne sera jamais plus observée de la même manière par ceux qui ont eu la chance de voir ce spectacle. Vivement une reprise. Et une tournée.

À votre tour: qui feriez-vous gagner dans chacune de ces catégories?