BloguesPlan B

Pauvreté et gestion financière

Même si je suis encore sous le salaire moyen québécois (46 000$ environ), je sais que je suis loin de ces années où j’étais dans l’extrême pauvreté, de ces mois sur l’aide sociale et de ces années où je ne gagnais que 9000$ à 12000$ par année.

Néanmoins, ayant déjà bénéficié d’un salaire bien au-dessus du salaire moyen, sans être dans les six chiffres non plus, je sais à quel point la vie est facile quand on a un revenu décent. Je ne dirais pas que mon revenu actuel est indécent, mais il ne me permet pas, non plus, d’éviter tout le stress d’un budget serré et de l’aisance de toujours avoir un coussin en cas de pépins.

Ce sont parfois des trucs qui ont l’air anodins, mais qui peuvent facilement devenir lourds. Tenez, l’autre jour, un imprévu, à quelques jours du jeudi de la paie. Je pensais être bon pour payer cet imprévu et laisser assez d’argent dans mon compte pour un paiement, mais non, il a manqué finalement quelques dollars et le paiement a rebondi. Non seulement il a rebondi, mais ça vient avec des frais bancaires, 45$, et parfois avec des frais de la compagnie (ça dépend de celle-ci).

Il y a quelque chose d’ironique, et de frustrant, dans le paiement de ces frais, parce que ce n’est habituellement pas un oubli, mais une incapacité financière. Ajouter un fardeau financier met juste encore plus dans la merde. Ironiquement, ce sont majoritairement ceux et celles qui n’ont pas les moyens de payer de tels frais qui se ramassent avec ce type de frais.

Il y a ces fois où j’ai dû négocier avec un fournisseur Internet ou cellulaire d’étaler ma facture sur deux ou trois versements, dû à des imprévus, encore. Il y a ces épiceries faites afin de maximiser ce qu’il reste dans le compte et non selon nos envies ou selon le guide alimentaire canadien. Une réalité très loin de l’épicerie à 210$ par semaine.

Vous me direz que j’avais qu’à mieux gérer mes affaires. Que si je gérais mieux, je n’aurais pas à négocier avec un fournisseur, que je n’aurais pas à calculer au dollar près mes épiceries, que je n’aurais pas à stresser sur un paiement qui rebondi, que je n’aurais pas à me demander si j’ai les moyens d’aller à un cinq à sept avec des ami.es (plutôt que si j’en ai envie).

À l’époque où j’avais un revenu décent, c’était facile de penser que j’étais bon avec mes factures. J’avais un imprévu? Pas de trouble, ça ne m’empêchait pas de faire mes paiements. J’avais un plus gros paiement que prévu? Pas de problème, je n’avais pas à le négocier, j’étais capable de l’absorber sans faire aucun calcul.

C’est facile gérer un budget quand tu n’as pas de contraintes. Il n’y a aucun défi. Sans dire que tous les bénéficiaires de l’aide sociale sont de bons gestionnaires, je crois que la majorité des grands gestionnaires respectés (ou bons pères de famille) se péteraient la gueule s’ils devaient gérer un budget comme celui qu’on a sur l’aide sociale.

C’est facile gérer un budget quand tu as les fonds pour le gérer. C’est autre chose de devoir tout payer quand ton portefeuille ne te permet pas, à la source, de tout payer, même en te privant, même en te limitant à l’essentiel.

Avec moins de 700$ par mois, payer un loyer et de la bouffe pour un mois est déjà un défi. On ne parle même pas ensuite d’Internet, d’Hydro-Québec, de vêtements, du transport en commun, du téléphone, de la télé et encore moins de restaurants.

L’expérience tentée et expliquée dans le Journal de Montréal l’autre jour n’est que la pointe de l’iceberg. On peut lire dans l’article le père, Denis Paquin, déclarer : « Il est possible de s’en tirer, mais il faut tout le temps que tu sois en train de penser à ça, et il ne faut pas qu’il t’arrive un imprévu. »

Et tu n’as encore rien vu, Denis! Sur l’aide sociale, ou en situation de pauvreté – comme c’est le cas même en travaillant à temps plein au salaire minimum – c’est un stress permanent, sur tout. Le moindre imprévu te gâche tout. Oui, tu penses à comment tu vas faire pour manger, mais aussi tout le reste!

Quels genres d’imprévus parle-t-on? C’est tellement divers. C’est une paire de pantalons qui déchire ou des souliers qui se trouent. C’est quelque chose qui brise chez toi. C’est tomber malade. C’est pogner une contravention. C’est un changement de tarif soudain d’électricité, d’Internet, de téléphone. C’est l’épicerie qui augmente. Ou ton loyer. C’est un chèque qui ne rentre pas (quand tu es pigiste). C’est aider une personne de ta famille ou un.e ami.e qui avait besoin d’un coup de main. C’est parfois aussi un oubli. Un simple oubli. C’est parfois tellement banal, mais même le truc le plus banal peut être fatal quand tu es pauvre.

C’est facile avoir l’air d’un bon gestionnaire quand tu as un revenu décent, ou indécemment élevé. C’est facile, dans ce temps-là, croire que si le pauvre est dans la merde, ce n’est pas dû à un problème systémique, mais que c’est qu’une question de gestion financière personnelle.

Ça fait plusieurs fois que j’écris sur la pauvreté et que je dénonce le programme Objectif emploi du gouvernement libéral, parce qu’il n’aide pas les bénéficiaires à améliorer leur sort, mais au contraire, conforte les préjugés et maintient le cercle vicieux qui accompagne souvent la pauvreté.

J’en ai parlé ici (mon expérience sur l’aide sociale), ici (le mythe du self made man) et ici (survivre au lieu de vivre).

Je suis un peu irrité par ces discours de François Blais et d’autres sur l’importance de se prendre en main venant de personnes qui semblent n’avoir jamais connu la pauvreté. Moi aussi j’étais bon avec mon budget quand j’avais un bon revenu. Ou du moins, comme plein de gens, j’avais l’air bon.

Mais c’est plus une question de revenus que de talent, finalement.