Rap local : quand Raccoon s’approprie un préjugé raciste
L’espoir de la scène rap montréalaise Raccoon présente son premier album Gentil pour un noir.
Chaque semaine, cette chronique met en lumière l’oeuvre des rappeurs et des producteurs québécois les plus intéressants du moment. Au programme : entrevue, bons coups de la semaine et aperçu des prochains spectacles à voir.
Entrevue //
Sur ton précédent projet paru en mars dernier, Mettre les gants, tuer le croc-mitaine, tu parlais en grande partie de ta transition vers l’âge adulte. Quelle était ton intention cette fois?
J’ai surtout cherché à créer quelque chose d’accrocheur et de conceptuel plutôt que de parler directement de moi et de mes états d’âme. Si tu écoutes bien les chansons d’un bout à l’autre, tu te rends compte qu’il y a une évolution, un fil conducteur. C’est vraiment une célébration de mon identité. La première chanson, Gentil pour un noir, elle présente le projet. La deuxième, Cachets, elle oriente mes ambitions, tandis que la troisième, Comparer, c’est vraiment un égotrip assumé. Ensuite, Fluorescent, c’est mon côté festif, et Trotter dans la tête, mon côté sentimental. Émotionnel, mon côté sarcastique, et Black Hipster, mon côté agressif, raw. Enfin, Tomber, c’est mon côté conscient, et Saut à la perche, c’est ma carte de visite en tant que rappeur.
Ce qui retient l’attention d’emblée, c’est le titre de ce projet, Gentil pour un noir, l’un des plus mémorables de l’année à mon avis. Il y a une portée ironique derrière ce nom?
Assurément. «Tu es gentil pour un noir», c’est quelque chose qu’on m’a souvent dit dans ma vie, autant dans la cour d’école que dans des commerces. Je viens de l’est de l’île, un endroit très multiculturel, et quand on te dit ça, ça sous-entend malheureusement que les noirs sont en général méchants. De le dire tout haut et de l’assumer, c’est ma manière de flip back l’expression, d’enlever du pouvoir à ce préjugé. C’est un peu une façon de rire de l’ignorance des gens.
C’est aussi une manière de définir ton personnage de Raccoon? Sur l’album, tu joues beaucoup la carte du gentil garçon qui mène une petite vie paisible…
Oui, j’assume totalement ma personne et l’image que je dégage. Je suis vraiment quelqu’un qui a une vie tranquille et j’ai envie de dire aux gens qui associent ma couleur à ma personnalité que, vous savez quoi?, vous avez raison guys. Mais, en même temps, faut pas oublier que c’est super cave de dire ça.
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Côté musical, tu mets de l’avant une atmosphère plus trap que sur ton précédent projet, notamment grâce aux productions d’Aspect Mendoza et d’Ethan Habanou. Qu’est-ce qui explique ce changement de cap?
J’ai enregistré l’album l’été, donc j’étais à la recherche de beats plus festifs, de bangers plus américains. Je voulais avoir des couplets plus courts et plus légers que sur Mettre les gants… , donc j’ai cherché des beats en ce sens-là.
Plus tôt ce mois-ci, tu étais l’une des deux têtes d’affiche de la 15e édition des WordUP! Battles et tu t’es incliné devant Freddy Gruesum, qui défendait son titre pour la deuxième fois. Comment as-tu pris cette défaite?
J’ai pris cette défaite la tête haute. Pour vrai, la soirée s’est super bien déroulée, mais malheureusement, j’étais pas dans le bon mindset. J’ai sous-estimé ma préparation et je n’ai pas mis ma performance au top de mes priorités. Les battles, j’ai toujours eu tendance à prendre ça à la légère, car je me reposais sur mon talent, mais là, j’ai compris que c’est pas juste le talent qu’il y a d’important dans la vie, mais surtout l’ordre, la discipline et le travail.
Lancement de l’album Gentil Pour Un Noir – Le Ministère (Montréal), 14 décembre (20h)
La nouvelle de la semaine //
Le hip-hop n’a pas particulièrement tiré son épingle du jeu cette année au Gala de l’alternative musicale indépendante du Québec (GAMIQ). Tout compte fait, seuls deux rappeurs ont su se démarquer dans les nominations qui leur étaient destinées. Il s’agit d’Eman et de Robert Nelson, qui ont respectivement raflé les Lucien dans les catégories du EP rap (pour Maison) et de l’album rap de l’année (Nul n’est roé en son royaume). Mention aussi au duo De.Ville, récompensé dans la catégorie world.
Le projet de la semaine //
En cette fin d’année déjà bien chargée dans le rap québ, Alaclair Ensemble se joint à la parade avec une parution surprise. Créée et enregistrée en quelques jours sur la route, la mixtape America vol. 2 figure parmi les projets les plus rafraîchissants de l’histoire de la formation. Sur des productions minimalistes et plutôt fortes en basse de Vlooper, les cinq rappeurs se laissent aller avec de brillants flows dégourdis, qui servent d’assises à leurs textes spontanés. Comme d’habitude, les acolytes bas-canadiens s’amusent avec les codes du hip-hop actuel, en abordant avec une arrogance bien sympathique les valeurs qui leur sont chères, c’est-à-dire la santé, la famille et l’amitié.
Mentions à deux EPs tout particulièrement éclatés, autant en termes de forme que de fond : Trappeur de Jay Sea et Badmninto ainsi que Sul Way de SeinsSucrer et Dr. Stein. Deux preuves supplémentaires de la créativité sans borne et sans complexe de la relève rap locale.
La chanson de la semaine //
Canidés et Ding Dong d’Alaclair Ensemble s’illustrent à parts égales ici, à l’instar de la plus récente chanson du rappeur montréalais Black Picsou : Sur un flight, une collaboration avec Snow Kanye.
L’instru de la semaine //
Sur sa première beat tape Virtual Reality, le Montréalais Black Vanguard présente une signature trap aux influences cloud rap marquées. Si l’ensemble manque un peu de raffinement au niveau du mixage, on peut toutefois y voir les germes d’un producteur habile et prometteur. Du lot, Cyberespace se démarque.
Le clip de la semaine //
Réalisé par Xavier MC, Papillon met en vedette FouKi dans son propre rôle, celui d’un étudiant désillusionné qui chasse l’ennui par le basket et la danse. Le rappeur nous montre ses prouesses de danseur dans une efficace chorégraphie qui n’est pas sans rappeler celle de …Baby One More Time.
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Les spectacles à voir //
FouKi amène sa tournée ZayZay à Trois-Rivières.
Amphithéâtre Cogeco (Trois-Rivières), 29 novembre (20h30)
Le rappeur, DJ et producteur Farfadet donnera un rare spectacle aux côtés de Jibré, Psykopas et bien d’autres.
Bar Le Bonsai (Lavaltrie), 30 novembre (21h)
KNLO revient chez lui pour un spectacle solo.
L’Anti (Québec), 5 décembre (20h)
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