Vague végane
Exit le végétarisme, considéré par certains comme trop soft, la tendance est maintenant au végétalisme. Que ce soit à la maison ou au resto, y compris dans les établissements haut de gamme, les produits d’origine animale commencent à déserter l’assiette.
En juin dernier, le Renoir s’associait au chef Emeric Hommey du Lola Rosa pour offrir à ses clients un menu trois services entièrement végétalien. Une première pour le restaurant de l’hôtel Sofitel, mais aussi pour le monde de la haute gastronomie montréalaise. À l’issue de ce test d’une semaine, 35% des clients avaient opté pour ce repas sans produit animalier. Impressionné, le chef Olivier Perret réfléchirait depuis à intégrer de façon permanente des plats végétaliens à son menu…
Avoir un plat ou deux sans viande ni poisson, c’est une chose; la demande est maintenant à des repas sans œuf, crème ou encore lait. C’est le régime alimentaire que suit depuis huit ans Caroline Huard, qui partage ses recettes végétales sur Loounie Cuisine. «Ça s’est fait en revenant d’un voyage dans le sud de la France, après avoir mangé beaucoup de foie de canard, etc. C’est parti d’un réflexe égoïste: je voulais me détoxifier.» La blogueuse n’est jamais passée par la case végétarisme, devenant tout de suite végétalienne.
«Quand j’ai commencé, on était peu. J’ai depuis découvert beaucoup d’infos auxquelles je n’avais pas accès à l’époque, explique Caroline. Avant, j’avais l’impression qu’on était une petite communauté marginale qu’on regardait bizarrement, mais aujourd’hui, et depuis 2-3 ans, on nous regarde presque avec admiration! Et encore plus fortement depuis l’hiver dernier, avec le Pacte. Les gens commencent maintenant à se justifier quand ils prennent l’avion ou mangent de la viande…»
Si le végétalisme s’installe dans les restos, c’est notamment en réponse à la demande de plus en plus forte des clients qui ont déjà banni les produits animaliers de leur cuisine. «Des véganes nous écrivent et ça nous fait réfléchir. On est très ouverts aux commentaires, et c’est fou comme la demande augmente chaque année», explique Pascal Hourriez, copropriétaire du restaurant Losa Rosa. Le restaurant est végétarien depuis son ouverture il y a 22 ans et 75% de son menu est sans produit animal.
«Mais on a été boudés par la communauté végane, depuis le début de Facebook et l’apparition des réseaux véganes», raconte le restaurateur. Pascal a toujours senti «une petite guerre» entre végétariens et végétaliens, même si elle semble moins présente ces derniers temps. C’est que la communauté végétalienne compte en son sein quelques militants très revendicateurs, voire intégristes, qui donnent parfois au mouvement une image négative. «C’est une minorité, mais elle est très vocale», concède pour sa part Caroline.
«Un légume, ça prend plus de créativité»
La mission originelle du Lola Rosa est de faire manger moins de viande aux gens. «À l’époque, on était en avance, mais aujourd’hui, c’est plus le cas», analyse Pascal. Qu’à cela ne tienne. Le 15 octobre prochain, un menu 5 services entièrement végétalien sera proposé au Lola Rosa lors d’une soirée spéciale en collaboration avec le chef Dino Luciano (vainqueur de Masterchef USA 2017). Le restaurant propose aussi un brunch végétalien et travaille actuellement à un nouveau menu sans aucun produit animal, qui sera offert d’ici janvier prochain.
Pour Pascal, Lola Rosa n’a en effet pas le choix de devenir 100% végétalien. «Nos motivations sont plus sur l’environnement que sur la cause animale. Et les entreprises de produits laitiers, par exemple, sont de gros pollueurs. Oui, on pourrait proposer un plateau de fromages de qualité provenant d’artisans locaux et bio… Mais c’est trop compliqué pour nous, et ça serait le double du prix pour le client», explique le restaurateur.
«Avant, le fromage c’était ce qui amenait le goût. Aujourd’hui, il y a eu de tels progrès dans les produits véganes qu’enlever complètement les produits animaliers ne nous fait pas peur», ajoute-t-il. Mais pas question pour autant de remplacer ces produits par des substituts végétaliens – et de faire leurs fameuses lasagnes avec du faux-mage par exemple –, l’équipe du Lola Rosa préfère tout bonnement proposer un nouveau plat.
Mais repenser un menu, ça demande du temps et de l’argent. «Il y a cette notion que quand y a pas de viande, ça devrait être moins cher. Mais pour un steak, t’as pas besoin de tant de travail; pour un légume, par exemple, ça prend plus de créativité», nuance Pascal. Si tous ses desserts sont végétaliens depuis un an, le restaurant a dépensé beaucoup sur leur développement afin d’obtenir un résultat de qualité et gourmand, notamment en travaillant avec un chef pâtissier.
«Quand on bannit les produits animaliers, il faut repenser tous nos réflexes en cuisine. C’est pas vrai que c’est facile et il faut y aller étape par étape, ajoute Caroline. Mais je me nourris mieux depuis que je suis végétalienne; pas parce que j’ai enlevé des choses, mais parce que j’en ai rajouté. Je me suis par exemple rendu compte qu’avant je ne mangeais pas assez de légumes, de légumineuses ou de grains…»
C’est notamment pour guider les néophytes qu’elle axe l’approche de son blogue et de son livre récemment paru (Loounie cuisine : astuces et recettes 100 % végétales) sur le comment du végétalisme plutôt que le pourquoi. «Mon approche peut aussi éloigner certaines personnes, mais argumenter, c’est pas là-dedans que je suis la meilleure. Sinon, le principal argument du végétalisme pour moi, c’est l’environnement. Et je ne peux pas non plus concevoir qu’on tue et qu’on exploite des animaux pour manger.»
Du végétalien jusqu’au St-Hubert
Mais si la demande pour les plats végétaliens est croissante, les changements de menu ne font pas l’unanimité chez les clients. Ainsi, ça a grincé des dents quand Lola Rosa a retiré les œufs bénédictine de son brunch… D’autant que, le restaurant ne s’affichant pas comme végétarien, certains clients y entrent puis repartent quand ils se rendent compte qu’il n’y a pas de viande au menu. La même réaction pourrait se produire devant la nouvelle carte végétalienne. «Mais on est prêts pour ça, assure Pascal. Y a un marché pour une bouffe végane de qualité.»
Un marché d’ailleurs pris d’assaut par les restaurateurs. Plusieurs établissements 100% végétaliens ont en effet ouvert récemment, comme Bowhead, Bloom ou Buddha. Une concurrence qui ne fait pas peur au propriétaire du Lola Rosa: «On est dans un secteur différent des autres. C’est plutôt Aux Vivres qui est attaqué par la concurrence… Nous, on fait des plats cuisinés.» En attendant, de plus en plus de restos classiques mettent une offre végétalienne à leur menu, «un ajout désormais obligatoire», selon Pascal. «Notre concurrence, elle est plutôt là.»
De son côté, Caroline ne boude pas les restaurants omnivores. Elle cite par exemple le Montréal Plaza et le superbe souper qu’elle y a eu. «Quand il y a un chef sur place, en général les restos s’adaptent pour me proposer un repas végétalien. Tant qu’ils sont prévenus en avance, les chefs aiment plutôt ça, car c’est un beau défi pour eux. Ils n’étaient pas aussi créatifs y a huit ans, mais j’ai jamais été mal prise au resto.»
C’est que la scène de la restauration locale n’a rien à envier à l’étranger. Après avoir beaucoup entendu parler de Los Angeles pour son offre végétalienne, le propriétaire du Lola Rosa est allé y faire un tour: «J’ai pas été impressionné», conclut-il. À Montréal, Caroline cite Sushi Momo parmi ses restos préférés, ou «l’absolument décadent» Radis. «Avant ça, il y avait juste Aux Vivres ou La Panthère verte, qui sont parfaits pour un lunch mais un peu moins pour un souper aux chandelles mettons… Mais maintenant, à Montréal, on est vraiment choyés.»
Et dans le reste de la province aussi. La blogueuse cite notamment Les Faux Bergers à Baie-Saint-Paul ou Le Champlain à Québec pour les excellents repas qu’elle y a mangés. «Des menus et des restos véganes, il va y en avoir de plus en plus. D’ailleurs, St-Hubert va bientôt proposer des plats véganes! indique Caroline. Dans quelques années, les gens vont être gênés de commander de la viande au resto…»