Trois sujets qui ont marqué le théâtre en 2019
Scène

Trois sujets qui ont marqué le théâtre en 2019

L’année qui s’achève a été forte en émotions et riche en événements. Comment ces thèmes influenceront les programmations théâtrales de demain? On en a discuté avec quatre directeurs artistiques.

L’environnement

Jean-Simon Traversy et David Laurin / Crédit : Maxyme G. Delisle

Sans hésiter, c’est le premier mot qui est venu à la bouche de Jean-Simon Traversy. « La marche pour le climat a été un très grand moment pour moi », confie le codirecteur artistique du Théâtre Jean-Duceppe. « La mouvance environnementale, c’est un sujet fort pour nous. » Pour lui et son comparse David Laurin, mais aussi pour François Archambault, auteur actuellement en résidence à Duceppe. 

Et cette année, les directeurs ont décidé d’être plus conséquents dans leur gestion du théâtre : il ne s’agit pas juste de parler d’environnement sur les planches, mais aussi de mettre en place des gestes écologiques dans le fonctionnement de l’entreprise. « À chaque fin de production, on jetait les décors dans des grands conteneurs », explique David. « On travaille maintenant avec Ecosceno, une startup qui fait en sorte que les décors de théâtres et institutions culturelles soient recyclés ou réutilisés, et qui nous conseille en amont pour le choix des matériaux. » 

Duceppe a actuellement deux projets pilote en cours avec la compagnie. Par exemple, les arbres qui orneront la scène des Enfants (à l’affiche en février prochain) proviennent d’une production de Radio-Canada. « Avant, pour nos décors, on y allait d’abord avec la rapidité et l’efficacité financière », indique Jean-Simon. « Dans l’idéal, toutes nos futures productions seront ecosceno. »

La place des femmes

Ginette Noiseux / Crédit : Raphaël Ouellet

Pour Ginette Noiseux, du Théâtre Espace Go, c’est la mobilisation des créateurs de théâtre pour le féminisme qui l’a le plus marquée. Un mouvement qui selon elle fait suite au rapport de 2017 des Femmes pour l’Équité au Théâtre (F.E.T). « De plus en plus de jeunes directeurs artistiques se sont mobilisés pour faire de la place aux femmes, notamment dans les petits salles de théâtre où elles sont en autoproduction », explique Ginette. « On a vu un éveil des consciences. »

Elle souligne au passage la présence d’autrices féministes en résidence, par exemple Emmanuelle Sirois à l’Espace Go ou Martine Delvaux à la Licorne, un « théâtre plutôt réputé pour porter des voix d’hommes ». Plusieurs acteurs du milieu demandent en outre à la F.E.T la mise en place de quotas pour favoriser les femmes dans le théâtre. Pour la directrice de l’Espace Go, les quotas représentent un bon accélérateur et une opportunité de poser des questions, en plus d’obliger à faire de la recherche. « Ça fait grincer des dents, mais ça marche. »

La place grandissante des femmes au théâtre, c’est aussi ce que souligne la directrice du Théâtre Périscope à Québec, Marie-Hélène Gendreau : « C’est nouveau ça, de dire “je suis metteure en scène” ou “je suis autrice”. Ça s’inscrit de plus en plus dans les programmations, et les propositions féminines sont de plus en plus présentes. » On acquiesce chez Jean-Duceppe, citant « l’émergence nouvelles voix, féminines mais pas féministes, et très rassembleuses », comme Rachel Graton ou Catherine Chabot. « En 2019, on féminise des personnages, ou en tout cas on pense à les féminiser », indique David.

Mais côté parité, il y a encore du travail, assure Ginette. Elle avance ses chiffres : les finissants en théâtre ne rencontrent que 20% de metteures en scène et ne lisent que 20% d’autrices. « La notion de réussite est donc masculine », regrette la directrice. « On a un rattrapage très important à faire pour mettre en valeur le matrimoine. Il y a des femmes qui ont écrit des œuvres majeures et qui ne sont même pas enseignées dans les écoles. Prendre de l’assurance, ça vient avec la reconnaissance. »

La directrice de l’Espace Go dénonce aussi les critères d’accès à certaines bourses, discriminatoires pour les femmes dans la mesure où elles visent souvent les 30 ans et moins, soit l’âge où les femmes font des enfants. Et puis il y a le problème de la couverture médiatique, selon elle : « Les œuvres des hommes sont “universelles” – et vont intégrer le répertoire -, tandis que celles des femmes sont “pertinentes dans l’actualité” – et vont donc tomber dans l’oubli à long terme… »

2019 a été l’année où les théâtres se sont activés pour mettre les femmes en avant dans leurs programmations sur les grands plateaux; « mais certains se sont depuis désactivés », note Ginette. « On a senti un très gros relâchement, et on voit déjà la portée d’un backlash. Jusqu’où va aller le mouvement si on s’en tient juste aux directions artistiques? Il y a eu un éveil des consciences, mais comment va-t on renforcer cette position? »

La diversité

Marie-Hélène Gendreau / Crédit : Nicola-Frank Vachon

La diversité se retrouve de plus en plus sur les plateaux de théâtre, relève David Laurin. Si 50% des artistes se disent issus de la diversité, « cette réalité ne se retrouvait pas dans les textes, jusqu’à aujourd’hui ». Citons notamment Mani Soleymanlou, Nathalie Doummar… Ces voix issues de la diversité vont aussi chercher un nouveau public, parfois moins habitué au théâtre. Et ça, c’est un ravissement pour les codirecteurs du théâtre montréalais: « Un des beaux moments de 2019, ça a été la supplémentaire d’Héritage, se souvient Jean-Simon. 60 à 80% de la salle était noire. C’était des gens qui avaient acheté des billets, y avait pas d’abonnés. Et ça c’était beau. C’était des codes que je découvrais, de nouveaux rapports entre la scène et la salle. Les acteurs étaient surpris aussi! »

À l’école où vont ses enfants, Marie-Hélène Gendreau essaie d’aider les enfants allophones qui arrivent en cours d’années, pour « faire une différence à sa petite échelle ». « Les réalités de l’immigration, c’est quelque chose qui me touche beaucoup », confie la directrice artistique du Périscope. Et au théâtre, elle voit une ouverture à la mixité, dans tous les sens du terme : mixité d’origine, mixité sociale, mixité des genres. « Aujourd’hui, on reçoit une parole et on se fout de l’identité ou de l’origine de celui qui la donne. »

Le Périscope mène un projet de médiation sociale via la culture, qui rend sa directrice très fière. Des hommes en réinsertion sociale produisent un texte de leur cru, qui est ensuite mis en lecture et amène au théâtre un public nouveau. Un autre projet du Périscope travaille avec des femmes immigrées. Et puis il y a le concept des billets suspendus : une boîte à dons permet ainsi d’offrir des places de théâtre à des gens qui n’ont pas les moyens de s’en payer. « Environ 100 billets sont offerts chaque année, et ça continue de grandir, souligne Marie-Hélène. C’est une vraie occasion d’intégration sociale. » 

Pour la directrice, le théâtre est un lieu ouvert sur le monde, et ce qui est présenté sur les planches a le devoir de faire réfléchir et de rendre meilleur. Parmi les pièces qui l’ont marquée, et qui illustrent bien ce devoir du théâtre d’être au cœur du débat social, Marie-Hélène cite Constituons de Christian Lapointe. « C’est une entreprise tellement impressionnante! Ça rend puissant le geste de réfléchir le théâtre d’aujourd’hui. Christian Lapointe a dépassé le théâtre documentaire, il est vraiment dans la performance. »

La directrice du Périscope salue la présence de plus en plus d’artistes qui traitent de problèmes sociaux et mènent des recherches sur le sujet. « Les gens ont envie de se faire bousculer, de se faire parler d’eux. C’est ça qu’il faut faire si on veut avoir des gens dans nos salles. »

Et aussi…

…la relation Chine et États-Unis

« Y a des sujets indémodables, comme la relation politique entre la Chine et les États-Unis, qu’on va traiter l’année prochaine. C’était d’actualité y’a dix ans, et ça le sera encore dans les prochaines années. Là on cherche des acteurs chinois… C’est le fun d’être sur des terrains non-balisés! » – Jean-Simon Traversy

…le rêve

« Le public a besoin de rêve, qu’on l’emmène là où il ne pensait pas aller. Être dans l’actualité ne signifie pas forcément être assujetti à l’actualité. » – Ginette Noiseux

…Catherine Dorion

« Je suis fière qu’une artiste soit en poste en politique. Elle amène ses idées avec poésie. Elle est brillante. » – Marie-Hélène Gendreau

…prendre le pouls

« On consulte de plus en plus, en parlant avec les acteurs, les metteurs en scène… Faut présenter au public des œuvres qui vont leur parler. » – Jean-Simon Traversy
« On travaille en collaboration, moins en vase clos. On est un théâtre plus à l’écoute. On assiste au retour de l’empathie. » – David Laurin

…le conservatisme

« Le milieu culturel est assez conservateur ; la culture se remet aux bonnes volontés des gens en position de pouvoir… » – Ginette Noiseux

…la fin de l’instantanéité

« Je pense qu’on en aura bientôt fait le tour. On a besoin de plus de temps pour créer, transmettre… Il faut prendre le temps de transporter la lumière. » – Marie-Hélène Gendreau

…questionner

« Il faut arrêter de penser qu’on doit atténuer les choses pour le public, ou leur expliquer. » – Marie-Hélène Gendreau
« Le public est absolument prêt à recevoir de nouvelles réglementations, à voir de nouvelles œuvres. » – Ginette Noiseux
« Le but, c’est de voir venir la prochaine affaire. Pas donner des réponses, mais de poser des questions. » – Jean-Simon Traversy